Fantasmagories

Autoportrait en fantôme

Matthieu Chatellier cherche à filmer le loup qui hante depuis peu le Massif central. Il vit seul, dans un gîte, c’est l’hiver. Alors qu’on vient de lui annoncer la mort de Paul, son rival de jeunesse en amour comme en cinéma, son fantôme s’incruste chez lui, en chair et en os. Lors de ses errances en forêt, il croise Mathilde, personnage de ses films précédents, qui a perdu sa prothèse de jambe. Souvenirs et revenants donnent un éclairage particulier au problème de maths qu’il doit résoudre pour sa fille – des nombres complexes, « formés d’une partie réelle et d’une partie imaginaire ». Il semble que la définition vaille également pour les images, les membres fantômes, voire pour le réalisateur lui-même.

Dans Nos forêts, il devient Maurice, son double et personnage, opérateur de prises de vues, qui se filme de face et dans le miroir. Au sortir du bois, il voit son double déjà passé par là, le craint avant de s’assurer ainsi de sa propre existence. Même si l’on filme toujours des morts.

La multiplication des pères

Le père de Michaela Taschek vient de mourir à 92 ans. Pour faire son portrait, elle s’appuie sur des documents, albums photos et vidéos familiales. Lorsqu’elle avait douze ans, évènement étrange, son père a été remplacé par un sosie – Doppelgänger. Redevenant une enfant, elle commente les attitudes de cette personne dans laquelle elle ne reconnaît plus son père. C’est lui, sans être lui. Entre ces deux réalités, le film détourne les codes du récit de famille. Le glissement se poursuit : puisque le sosie vient de mourir, son père est de nouveau là. Au passage piéton, c’est lui – elle le filme : ses cheveux sont plus longs ; l’homme qui attend en silence avec son chien, lui aussi… et là-bas, lui qui danse ! En devenant pure fiction, le film permet la multiplication des pères ; un principe de réincarnation qui raconte à la fois l’absence et l’omniprésence.

Déguisements et incarnations

Les Bomatas, filmé·e·s par Esther Mazowiecki et Leszek Sawicki, sont coupeurs et coupeuses de canne sur l’île de la Réunion. La grand-mère est « loumbias », intermédiaire entre vivant·es et âmes errantes. Une branche qui craque, une douleur, un fruit cueilli à midi… Les fantômes sont partout, déguisés, et les précautions prises à leur égard sont flagrantes même pour les moins averti·es. Leur présence raconte les ancêtres esclavagisé·es, mort·es loin de leurs familles malgaches ou malbars, en fuite et resté·es sans sépulture. Les âmes déracinées cherchent des « pieds de bois », des arbres où se poser, des corps à habiter un moment. Les vivant·es se rendent disponibles par le rituel et par la danse, accueillent la transe. Dans la famille Bomata il y a…un catholicisme prodigue en images, doublé d’un devoir : devenir l’hôte de l’invisible.

Charlotte Ferchaud