Accompagnée au piano par la prof, la classe chantonne maladroitement les paroles de Mad World 1. Cette scène d’évaluation de musique fait remonter pas mal de souvenirs gênants. J’ai l’impression de connaître cet endroit. Mais un truc a changé. Tous·tes les élèves portent un masque. Au fond de la classe, il y en a un, les yeux fermés, qui fait comme s’il connaissait les paroles. Années COVID, crispation sanitaire, distanciation sociale. L’absurdité d’une époque pas si lointaine me saute aux yeux. J’essaie de m’imaginer à leur place, mais je sens bien qu’une demie génération nous sépare…
Rêves a été tourné durant l’année 2020/21 dans un établissement du Var, avec 17 collégien·nes. Sur une chaise, seul·es face à la caméra devant un fond blanc, les adolescent·es tentent d’exprimer leur vision du monde, tandis que, hors champ, les adultes – le cinéaste Pascal Catheland et le chorégraphe Arthur Perole – les guident. Présentée ici sous forme d’un long métrage, Rêves est en réalité une série de quatre épisodes de 25 minutes, structurée autour de quatre grandes thématiques – le rapport à l’environnement, les relations amoureuses, la transition vers l’âge adulte et le rapport à leur image. Au fur et à mesure, la parole se précise, devient plus intime, se rapproche de leur corps.
En dehors des entretiens documentaires et du cadre du collège, des séquences narratives préparent l’arrivée d’une fête, qui vient exciter l’adolescente qui sommeille encore en moi. Mais l’énergie du lâcher prise et la délivrance des corps ne viennent pas. Les effets de surimpressions et les gros plans stroboscopiques sur les jeunes qui dansent, rouges, verts, bleus, sur une montée de musique techno, ne font que nourrir la frustration de ne pas simplement voir les corps danser. Toutefois, une émotion irradie, se répand et traverse l’écran : c’est la gêne. Face à ces adolescent·es qui, les yeux fermés, une moue dubitative aux lèvres, cherchent le beat en balançant la tête, essayent de se dérober au regard, la vision de la gêne se mue en pulsations sourdes.
Je suis gênée de les voir gêné·es. J’imagine la difficulté de se laisser aller devant le regard de la caméra. Je trouve beau de les voir à l’épreuve. Iels essayent quand même, sans parvenir à s’abandonner. Je me souviens que moi aussi, j’étais coincée.
… Ça me rappelle une boum dans la semi pénombre d’une cave sous des spots lumineux qui balayaient à toute allure le sol carrelé. Posés sur des canapés qui se faisaient face, parlant très fort au milieu des décibels, on se surveillait, le désir de choper si intense entre nous. Presque tétanisant… Maintenant, heureusement, les choses ont bougé. Je crois que j’aime bien, finalement, quand je suis gênée.
Went to school and I was very nervous
No one knew me, no one knew me
“Hello, teacher ! Tell me, what’s my lesson?”
Look right through me, look right through me 2
- Titre du premier épisode de la série
- Extrait de la chanson Mad World de Tears for Fears