Entretien avec des membres du collectif des précaires des festivals de cinéma.
Le collectif est né en février 2020 à l’initiative de salarié·es du festival Cinéma du Réel et dans le contexte de la réforme de l’assurance chômage. Il a d’abord pris la forme d’un groupe de travail entre salarié·es pour comprendre les conséquences de la réforme sur les statuts, les contrats et les salaires. Aujourd’hui, trois ans plus tard, le collectif rassemble une centaine de personnes qui travaillent pour de nombreux festivals 1 : principalement des femmes et des jeunes.
Pourquoi la réforme de l’assurance chômage impacte-t-elle autant la filière ?
Les travailleur·euses des festivals de cinéma relèvent du régime général et non à celui de l’intermittence. La plupart des contrats sont des CDD ou des CDDU (c’est-à-dire des CDD d’usage sans prime de précarité). Quand on travaille pour des festivals, on alterne entre des périodes de travail et de chômage. Depuis la réforme, les périodes non travaillées entre deux contrats comptent dans les calculs de nos indemnités journalières. La discontinuité est inhérente à notre travail mais à présent, si on ne travaille pas pendant un mois, cette absence de revenus entre dans le calcul de nos indemnités mensuelles et fait donc baisser nos allocations.
Quelles sont vos revendications ?
Le seul moyen pour compenser l’effet de la réforme serait d’enchaîner les festivals, mais physiquement et mentalement, c’est impossible. La solution à terme consisterait à pouvoir prétendre au régime d’indemnisation de l’intermittence. Mais pour le moment, nous voulons être rémunéré·es correctement et sur des périodes suffisamment longues, et que soient prises en compte dans notre rémunération les heures de nuit, les week-ends, les longues semaines de travail sans pause, ainsi que l’ancienneté. Il est nécessaire que les demandes de subventions des festivals intègrent la masse salariale dans les budgets. Nous ne voulons plus être la variable d’ajustement. Malgré les baisses de subventions et la précarité des festivals, les directions peuvent faire des choix pour protéger les salarié·es.
Quels sont les moyens d’action du collectif ?
L’objectif aujourd’hui c’est d’être visible. On est présent·es sur tous les festivals, on crée des espaces de discussion. Cette année, le collectif a obtenu un rendez-vous avec le cabinet du ministre de la Culture et en prévoit d’autres avec des représentant·es politiques. Par ailleurs, le collectif s’est rapproché de la CGT spectacle. On doit faire un vrai travail de sensibilisation car tout le monde pense qu’on est intermittent·es. Des négociations ont parfois abouti. Au sein de Cinéma du Réel par exemple, des postes se sont ouverts, des contrats d’auteurs sont devenus des CDD et les salaires ont été revalorisés. Quant à la grève, la question peut diviser. Annuler les manifestations sur lesquelles on travaille avec autant d’engagement, c’est compliqué. On nous raconte tellement qu’on est chanceux·ses et privilégié·es de faire ce travail que certain·es ont du mal à reconnaître qu’iels sont précaires. Il faut qu’on intègre davantage la légitimité de faire des revendications et cette culture politique de la grève à notre milieu.
Quels leviers de négociation existent-ils auprès des directions des festivals de cinéma sachant que toute la filière est précarisée ?
C’est difficile parce qu’on a l’impression que la plupart des directions ne connaissent pas la réalité de nos postes. La diversité des tâches et des compétences qui constituent notre travail n’est pas reconnue : nos métiers nécessitent de connaître les gens avec lesquels on travaille et d’éviter le turnover. Nous sommes des professionnel·les de nos métiers, qui sont faits de plein de petites subtilités, connaissances indispensables pour qu’un festival se passe bien. Bien sûr, comme partout ailleurs, si on porte des revendications, on nous met la pression. Pourtant les sensibilités politiques des films présentés par les festivals sont proches de celles du collectif, c’est une contradiction qui passe souvent très mal.
La précarité des salarié·es impacte les festivals, mais aussi les cinéastes et les spectateur·ices.
Aujourd’hui ça devient la course aux contrats pour éviter les périodes de chômage. Cette précarité abîme profondément notre engagement. Plus on nous précarise, moins on donne. Pourtant, il est évident qu’on défend les festivals pour lesquels on travaille. Mais il y a beaucoup d’abus. Trop de précarité, trop d’heures supplémentaires, trop d’usure. Ça donne envie de changer de secteur alors qu’on s’y est tellement investi. On a bien conscience que les festivals sont de moins en moins subventionnés mais c’est dommage que leurs directions ne s’allient pas avec nous, on pourrait lutter ensemble pour ça aussi. On en a besoin.
Quelle est la suite ?
Aujourd’hui l’objectif est d’être plus nombreux·ses à se mobiliser et de continuer à dialoguer avec nos directions. C’est compliqué de mobiliser car on est divisé·es, on bouge tout le temps et travailler dans les festivals, c’est être dans le rush la plupart du temps. Jeudi on va parler autour d’une table ronde. Ce sera à 15h dans la salle de L’imaginaire. Plusieurs membres seront présent·es, de nombreux·ses salarié·es de Lussas font partie du collectif. Venez !
Propos recueillis par Clémence Arrivé.
Le collectif « Sous les écrans, la dèche » regroupe des salarié·es de nombreux festivals tels que Cinéma du réel (Paris), le FIFIB (Bordeaux), Premiers Plans (Angers), La Quinzaine des cinéastes (Cannes), le FID (Marseille) le Festival des 3 Continents (Nantes), le Festival international du film Entrevues (Belfort), le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand, le Festival de Cannes ou encore le Festival international du film de La Rochelle.