Inch’Allah !

Dans le cadre de « Produire en région » nous avons rencontré Didier Nion et Gilles Padovani de Mille et une film, respectivement réalisateur et producteur du film Juillet… Une discussion à bâtons rompus autour des relations entre production et réalisation.

GP : Au départ il y avait un projet, une idée, une envie surtout. Mon implication, c’était de partir en repérages avec Didier pour voir les choses ensemble, pour en discuter et qu’on ait un échange. On est rentré fin juillet, il a fallu écrire un dossier et j’ai « tanné » Didier pour qu’il s’y mette.

DN : Là, son rôle est important parce qu’il prend conscience qu’une des faiblesses de « Didier » c’est peut-être de ne pas avoir écrit jusqu’à présent sur ses films. Là, je découvre avec l’écriture une nouvelle expérience, un truc que je ne connaissais pas à ce moment-là. La découverte même du plaisir d’écrire. Et ça fait du bien parce que tu as un ami qui est là.

GP : Didier, c’est le seul exemple de relation travail/amical… c’est pas toujours facile… C’est une forte personnalité et c’est vrai que je ne me comporte pas avec lui comme avec les autres réalisateurs. Du fait de cette personnalité et du fait de notre relation amicale.

DN : Je me suis déjà retiré de certaines aventures simplement parce qu’il n’y avait pas cette relation affective. Pour moi, toutes les grandes aventures partent de là.
Je ne veux pas être un artiste « produit », je veux que l’on partage ce risque. C’est pour ça que j’ai tenu à être co-producteur de Juillet… à hauteur de 50 %. Gilles a été d’accord. Ma réflexion, c’est d’être autant impliqué dans le financement d’un film que le producteur, d’avoir autant de responsabilités que lui. L’idée c’est ça ! Et du coup, ça élève ma propre conscience par rapport au travail. Savoir que c’est aussi une entreprise économique m’oblige à ne pas jouer au fou.

GP : Peut-être qu’on aura bientôt des problèmes, mais ça on verra. En même temps, aujourd’hui, le but du jeu c’est de trouver un distributeur pour que ce film sorte en salle. Les inconvénients, c’est d’être loin de Paris, donc loin des diffuseurs et des « soirées » où tu as des opportunités de rencontrer untel ou untel. Il y a eu une projection à Paris où j’ai essayé de faire venir quatre distributeurs. Aucun n’est venu. Mais on va continuer.

DN : Juillet… est en fait un film multi-régional. Des financements sont venus de Normandie, de Paris, de « Dieu » (le CNC). Il va être diffusé par Ardèche Images, et c’est une production bretonne. Est-ce que produire en région, ce n’est pas un petit peu tout ça ?… Lorsque Jean-Marie nous a appelés, on a dit oui, parce que Ardèche Images c’est les États généraux du Documentaire et c’est une belle aventure. C’est l’histoire d’un homme… et ça, ça me ressemble. Alors produire en région, je ne sais pas exactement ce que c’est, mais je trouve ça bien que ça finisse ici… Enfin, que ça finisse pour moi et que ça commence ici pour le film.
J’ai l’impression que le monde se transforme. Aujourd’hui, la manière de produire des films repose sur des vieux schémas. Mais si tu regardes les Depardon, les Kramer, enfin ceux qu’on connaît beaucoup, ils se sont investis dans leurs films et il y a une raison. C’est sûrement parce qu’ils ne veulent pas être dépossédés de leur travail. Ils vivent de ça, moi je n’invente rien.
J’ai passé l’âge d’aller voir un producteur pour lui demander de bien vouloir produire mon film, comme si c’était une chance. Si j’avais 18 ans et que c’était mon premier film, peut-être, mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui j’ai quarante ans. Jusqu’à présent ça fonctionnait de cette façon, le gars avait un projet, il le donnait au producteur… mais les producteurs ne font pas tous leur travail. Beaucoup ne se contentent de n’être qu’un relais. Parfois ils le font très mal et récoltent quand même.. C’est quelque chose de fragile, quelque chose qui ne marche pas à tous les coups. Si j’ai choisi cette solution, c’est d’une part pour en vivre, mais aussi pour relancer d’autres projets. Pour être libre aussi.
Et quand je dis que les vieux schémas sont un peu dépassés, c’est parce qu’aujourd’hui la société est en mutation et qu’un jour tout ça sera peut-être remis en question… Je ne sais pas… Ce sont les grandes questions des années à venir sur la propriété intellectuelle, artistique, ou sur la fabrication des films. Ce sont des choses qui vont bouger profondément. Par ailleurs, tu te responsabilises quand tu deviens producteur. Gilles fait son métier de producteur, je fais mon métier de réalisateur, mais on partage les risques. L’aventure, on la partage à deux… Et c’est une réflexion que d’autres devraient avoir sur leur travail.

GP : Moi je manque d’expérience, mais je ne sais pas si une société peut vivre avec tous les réalisateurs à 50 %. Les 50 % que je donne à Didier, c’est autant que je n’ai pas…

DN : Ce n’est pas 50 % que tu me donnes !

GP : C’est vrai, c’est 50 % que je te reverse.

DN : Là, les mots sont importants. Très importants même, c’est une question politique !

GP : Ce sont 50 % qui ne sont pas dans la société et qui ne me permettront pas de développer d’autres projets ou d’investir sur une écriture. C’est pour ça que je ne suis pas sûr que ce soit viable sur tous les projets.

DN : Ce que je veux dire c’est que chaque projet, chaque film, chaque auteur, chaque production a ses spécificités et sa propre philosophie à développer. Moi je n’impose pas une voie. Il se trouve que c’est possible avec Gilles et si ça n’était pas le cas avec lui ou avec un autre, je deviendrai producteur de mes films. Mais ce n’est pas mon métier… Ce regard sur la production me permet aussi de suivre le film jusqu’au bout, au cœur même du laboratoire. Pouvoir se retrouver tous les jours de la semaine avec les jeux de filtres dans les mains, pour construire la plus belle œuvre possible. Être présent jusqu’au bout du projet, le contrôler artistiquement et être conscient de ce que cela veut dire.

GP : Mais c’est vrai aussi que Juillet est un film sans diffuseur. C’est donc une liberté à la fois pour Didier et pour moi. Les films que je produis avec Didier ne sont pas des films que je produis comme avec les autres. Pour moi c’est un plaisir, c’est participer à une aventure de copains qui font des trucs ensemble et qui s’éclatent.

DN : Mais c’est pas le rêve de beaucoup de monde ça ? En tous les cas c’est le rêve que l’on a lorsque l’on a 20 ans et que l’on ne réalise souvent jamais.

GP : Il est évident que si un diffuseur s’était engagé sur un 52 minutes, ça aurait posé plus de problèmes. Il y aurait eu des contraintes.

DN : J’aurais été contraint à des choses, certes, mais il y aurait eu des négociations sévères. C’est sûr que je n’aurais pas lâché aussi facilement que ça. Je n’ai jamais, jamais supporté la case, le format. L’idée c’est de suivre qui tu es, de ne pas se trahir. Ça c’est un mot qui revient souvent chez moi, et aujourd’hui ça me donne raison. Mes films ne sont pas et ne seront jamais formatés. Jamais, jamais, jamais. Toute ma vie je me battrai là dessus. Enfin je l’espère. Inch’Allah… Ne lâchons pas, ne lâchons pas… soyons libres !

Propos recueillis par Bruno Dufour, Francis Laborie, Teresa Piera, Arnaud Soulier