À la manière d’un journal intime, Chantal Akerman, dans son propre rôle, nous fait partager le temps d’une cohabitation inopportune.
Une cohabitation imposée par la venue d’un ami à qui elle n’ose pas dire de partir. Une cohabitation qu’elle refuse au point de restreindre elle-même son espace de vie en s’enfermant aussitôt dans sa chambre.
Le cadre, exclusivement fixe, souligne le cloisonnement des pièces et plaque le personnage joué par Akerman contre les murs et contre les portes. La réduction de l’espace devient telle que bientôt le cadre ne délimite plus seulement les pièces, mais un espace intérieur plus restreint encore. Quant à l’espace sonore, il ouvre à l’autre un espace illimité, hors champ.
La présence de l’homme conduit le personnage d’Akerman à des exagérations burlesques. Le rythme de vie imposé par « l’ennemi », (les horaires strictes, les réveils, la chambre qui fait également office de bureau, de cuisine) rend vifs et gauches les gestes et la démarche du personnage féminin.
Face à la paranoïa qui la gagne (la restriction, l’isolation ne sont le fait que de sa propre volonté), elle tente d’éviter toute rencontre avec l’intrus. La réalisatrice nous inclut volontairement dans la vision de son personnage en nous plaçant derrière elle, refusant par là même le point de vue de l’homme.
Le degré d’enfermement est fonction des préoccupations de cette femme isolée. Jamais celle-ci ne pense tant à cet homme que lorsqu’elle ne le voit ou ne l’entend pas. Alors entraînée dans un processus d’espionnage sonore, voir l’autre devient très vite indispensable.
Et lorsqu’elle ne veut plus ouvrir les portes ni regarder aux fenêtres, sa seule ouverture sur l’extérieur demeure l’image d’un téléviseur branché à une caméra vidéo placée sur le rebord de la fenêtre. La télésurveillance occupe son attente.
Ironie du sort, l’être trop attendu ne vient pas. Le silence amorce les signes d’un vide. Le couloir et les pièces désoccupées confirment une absence définitive.
Manuel Briot