Gros plan sur le visage d’un enfant qui s’abandonne au sommeil, comme bercé par la voix d’un vieillard qui dit un texte de Spinoza sur les sentiments qui dominent l’homme. A moins que cette voix âgée ne provienne de l’intérieur même du visage enfantin comme si l’enfant en devenir et cette voix d’homme-devenu se fondaient dans l’ellipse d’une existence. Un dernier bâillement et les yeux se ferment sur ce monde intérieur pendant que la voix en se prolongeant nous amène dans un autre univers clos, celui des cours de récréation.
Cette scène introductive conditionne et donne un sens à tout le reste du film. La cour de récréation sera ici un espace mental dans lequel va se jouer tout le drame des passions humaines. La citation de Spinoza nous entraîne ainsi dès le début sur un terrain philosophique et nous n’en sortirons pas. L’enfance que nous propose ici Claire Simon, par des séquences indépendantes les unes des autres qui ressemblent à une succession de tableaux est l’image d’une enfance éternelle, telle qu’elle est aujourd’hui et telle qu’elle a toujours été… L’absence de références qui pourraient connoter les personnages culturellement, socialement ou historiquement, la musique et l’emploi du noir et blanc, tout concourt à la création d’un univers proche de l’abstraction. Un univers clos sur lui-même, hermétique aux adultes dont la présence reste toujours en dehors, à côté de ce monde. Ce qui est montré ici, ce ne sont pas des enfances particulières mais l’Enfance perçue comme un terrain de jeu ouvert à tous « ces sentiments qu’on appelle servitude ».
Le constat est sans équivoque. L’enfant étant soumis à ces sentiments dont « le pouvoir sur lui est tel qu’il est souvent contraint de faire le pire même s’il voit le meilleur », les cours de récréation deviennent des territoires où dominent principalement la violence et la cruauté. La métaphore avec un ring où tout est permis devient évidente lorsque la maîtresse agite la clochette comme pour signifier la fin du round.
Mais si la nature violente des enfants apparaît ici le plus souvent à l’œuvre, une des propriétés de l’homme est d’être doué du pouvoir d’imagination. La cour de récréation devient alors un lieu de re-création où tout doit être à chaque fois reconstruit, et les femmes de ménage, en la balayant pendant les heures de classe nettoient un espace de l’imaginaire. Un univers en perpétuelle composition-décomposition où les moments d’harmonie sont donc rares, aussi fragiles que ces tas de brindilles que les enfants, en jouant, ne cessent également de reconstituer. A tel point qu’en présence de ces comportements où l’agressivité semble jouer un rôle moteur, on se dit qu’une autre citation philosophique aurait pu servir d’illustration, celle de Jean Paul Sartre affirmant « l’enfer, c’est les autres ».
La dernière scène pourtant nous renvoie à une vision plus optimiste des rapports humains. Des fillettes s’amusent à sauter des marches. L’une d’entre elles a peur et n’y arrive pas. Elle pleure. Petit à petit, ses camarades vont la prendre par la main et l’aider à faire le saut. Une attitude qui contrebalance ainsi la formule de Sartre en démontrant que si l’enfer, c’est les autres, le salut et l’épanouissement de chacun passe également par le regard et la reconnaissance d’autrui.
Francis Laborie