Chronique Lussassienne, lundi

Jérôme tira une longue bouffée. Première cigarette à Lussas, premier plaisir, dernier moment de calme avant la tempête cinématographique à venir. Il avait retrouvé, comme chaque année, une place au Moulinage, il avait retrouvé comme inchangées les deux rues de ce petit village ardéchois, qui résistait toujours autant aux impérialismes les plus divers (en vrac, la frime, la télé, le business, la compétition – Jérôme mettait tout dans le même sac).
Rien n’avait changé, mais pour Jérôme cette année n’était pas comme les autres. Martine n’était pas venue avec lui. Il lui faudrait passer cette semaine seul, sans elle, et dans ce décor si familier, il se sentit soudain perdu. Son regard se promena attendri sur les terrasses encore désertes, sur les panneaux d’affichage qu’on installait, sur les devantures des petits commerces qui fleuraient bon le coin perdu. Il pensa à ce qu’avait dit Keuken (à propos de L’œil au-dessus du puits) : on peut toujours partir de là, du regard touristique, de cette vision fragmentaire et superficielle, n’importe quel sujet peut être sujet, pourvu que vienne une image impardonnable, quelque chose « que l’on ne peut pas filmer », afin de sortir du doux lyrisme de la contemplation. Dans le film en question, c’était l’échange de regards insistant avec un cul-de-jatte qui mendiait dans la rue, soit l’intrusion violente, obscène d’un regard qu’il fallait savoir soutenir. Quelles images impardonnables allait-on lui montrer cette année, à quelles transgressions serait-il mangé ? « Ces films qui nous regardent », la formule de Daney semblait on ne peut plus appropriée à la sélection du même nom : des films annoncés comme risqués, fragiles, en danger, des films à soutenir justement, dans tous les sens du terme, exactement ce dont il avait envie. Des films qui auraient besoin de lui pour exister, et non plus l’inverse, pour une fois. Et puis il y avait Pasolini, il y aurait Foucault, Arendt, Godard, autant de rêves d’insécurité, autant de raisons de se faire violenter.
Un lent panoramique sur la rue, les festivaliers en vacances et tenue d’été, un catalogue déjà sous le bras, un sac Sunny Side encore sur le dos, ici des embrassades et là des retrouvailles. Le regard du touriste. Cela lui rappelait… mais oui, ce panoramique d’ouverture sur la terre d’Israël, ce guide qui énonce quelques poncifs à une touriste américaine, blonde, naïve, pétrie de certitudes… avant que tout ne change. Martine n’était pas là, il pouvait fantasmer tranquille sur son film fétiche : c’était ça aussi Exodus, l’histoire d’une femme qui passe du statut de spectatrice à celui de guerrière, alors que rien ne l’y contraint sinon les coups martelés d’une conscience qui naît. Beau programme pour la semaine, d’ailleurs Jérôme n’aimait rien tant que se rêver en héros de Preminger.

Gaël Lépingle

Édito

Difficile, à la découverte des différents séminaires proposés cette année, de ne pas saisir l’axe que se sont choisi les États généraux cette année : « La Pensée filmée », « Penser cinéma », « L’Image : quel profit pour la pensée ? », autant d’invitations qui résonnent comme une proposition de cinéma revendicatrice. Le reste de la semaine ne dépareille pas l’ensemble : pensée analytique avec Farocki, versus poétique et sensuelle avec Pasolini, pensée du cinéma (Straub-Costa), pensée autour du cinéma (Le cinéma des Cahiers), impossible d’échapper à la question.
Histoire de se prendre la tête, bien sûr (pour mieux la perdre…), histoire aussi d’en repasser par le dire et sa solennité. À l’heure où l’image ne se décline plus que dans le flux et l’abondance, il ne sera pas mauvais de s’arrêter un peu sur les mots qu’elle peut aussi susciter ou enregistrer. Faire une pause, ralentir, s’arrêter pour mieux reprendre la route.
Alors, ne pas se laisser impressionner par l’ambition affichée de cette 13e édition. À chacun d’y cueillir sa perle, la couverture du catalogue le rappelle joliment : la pensée est aussi une fleur. On l’arrose, on la respire, et on en fait cadeau, comme on prendrait respectivement soin de soi, du monde et de l’autre : une trilogie indispensable, un petit précis de rêve de cinéma, de quoi planter son jardin pour l’année.
À vos bouquets !

Gaël Lépingle pour l’équipe

Surprise par la matière

Venue en Alsace pour faire un doctorat de littérature française, Kaye Mortley rencontre à cette occasion le camp du Struthof. Des années après, gardant en mémoire le souvenir de cet endroit, elle y retourne pour y réaliser un documentaire radio.

Mon idée de travail sur un sujet est, au départ, souvent très vague. Enfin, c’est un sentiment plutôt qu’une idée. Mais il ne faut pas que ce soit entièrement gratuit, cela doit être ancré quelque part. Je laisse l’idée dormir assez longtemps et, un beau jour, j’agis sur elle. Alors là, j’avance, je fais le geste d’aller vers ce qui est censé être le domaine du sujet et qui reste encore à cerner. Et puis j’enregistre. Je ne fais pas énormément de repérages. Il y a une phrase de Bresson que j’aime beaucoup, où il dit qu’il faut être aussi ignorant du sujet que le pêcheur qui va chercher son poisson au bout de sa canne. Tu jettes ta ligne et tu sais plus ou moins quand il y a quelque chose qui mord. Ce qui veut dire que les recherches viennent peut-être après et, d’une certaine façon, c’est la matière qui s’autodétermine. Le sujet n’est parfois qu’un prétexte. Je ne fais pas non plus des sujets dont je ne sais strictement rien, mais c’est plutôt après que je me documente… en fonction de ce que j’ai entendu. Il faut se laisser surprendre par la matière, comme ça les gens ont plus de chance de l’être aussi. Mais il faut aussi se prévenir contre d’éventuelles erreurs, bien sûr. Dans un premier temps je fais donc des enregistrements, je les écoute, puis je retranscris tout. Ça me prend un temps considérable mais cela permet de me familiariser avec la matière.

Pour le « Struthof », c’était un peu particulier. Je gardais des impressions de ce que j’avais vécu en Alsace, des gens que j’avais connus et le souvenir du lieu. Je savais qu’il y avait des choses que je voulais retrouver, dont je voulais qu’on me parle. L’étrangeté de l’Alsace me fascine. Je ne voulais ni un travail spectaculaire ni, comme dans une émission sur les camps que j’avais écoutée et qui m’avait fait froid dans le dos, une énumération d’horreurs qui fait que tout finit par s’annuler. Dans le Struthof, je voulais que les gens disent des choses qu’on n’entend pas tous les jours. Il fallait trouver une autre façon de parler de la seconde guerre mondiale et des camps. Le Struthof est un camp spécial, un camp de résistants, sinon je crois que je ne m’y serais pas attaquée. Je voulais laisser de la place aux alsaciens pour qu’ils parlent en alsacien, qu’ils expriment ce qui ne correspond peut-être pas à la mentalité de « l’intérieur », comme ils disent. La radio est aussi un espace où on donne la parole aux gens.
Je sais que des allemands ont détesté cette émission parce qu’ils trouvaient que la condamnation des camps d’extermination n’était pas assez dure. Une autre difficulté vient du fait que, comme c’est aussi un camp de résistants, j’ai su très vite qu’il y avait des choses que je ne pourrais pas dire par rapport au Struthof, qui ne se disent pas en Alsace, notamment les problèmes de rivalités entre les résistants. Je n’étais pas en mesure d’intervenir sur cette question. Cela dit, je crois que « donner à entendre » une telle expérience humaine peut tout de même se traiter dans un documentaire. Pour moi, un documentaire n’est pas forcément une synthèse. Ce n’est pas exactement de l’information, non plus. Ce qui ne signifie pas qu’il faut que ce soit vide, que rien ne soit dit, que ce soit juste un sujet flottant… mais ce sont les documentaires très ouverts qui m’intéressent.
J’ai une grande affection pour l’Alsace. Quelqu’un dit très bien dans l’émission que c’est un pays un peu meurtri, qu’ils ne peuvent avoir raison nulle part et que s’est inscrit fortement dans la langue. Ce que j’avais déjà pressenti car ils ne parlent pas l’allemand usuel.

La traduction est une sorte de condensation, et c’est assez long à faire. Cela alourdit terriblement d’en ajouter une. Il faut quasiment que ça ait valeur de texte. Ce qui est un problème parce qu’une émission traduite, à mon avis, est toujours beaucoup plus formelle qu’une émission qui ne nécessite pas de traduction. J’essaie de dire le plus possible, le plus juste avec le moins de mots. Je crois qu’il y a des gens allergiques à ça, mais moi j’aime bien écouter la musique d’une autre langue qui se promène un peu seule. Normalement, si je ne traduis pas, c’est que ça n’est pas nécessaire, que c’est un signal assez fort et qu’on peut imaginer ce qui est dit. Il faut trouver un rythme qui est inhérent à la matière. Ce n’est pas qu’une traduction, c’est autre chose.

J’ai pu aller au Struthof parce qu’il y avait cette cérémonie qu’on entend dans l’enregistrement. La première fois j’y suis allée avec un technicien. Je lui ai dit d’enregistrer tout ce qui bougeait. J’étais avec lui tout le temps de la cérémonie. J’avais un souvenir très net du Struthof : la façon dont il est construit sur une pente très raide, ce qui fait que très peu de gens se sont évadés car ils étaient trop affaiblis pour remonter les terrasses et se sauver. Il se trouve que la cérémonie commence en haut, avec tous les militaires, puis on descend en bas. Je lui ai dit que je voulais absolument le son des pas, des gens qui marchaient. C’est une idée que j’avais déjà et qui était importante dans la mise en scène. La dramaturgie du son, c’est difficile à expliquer. Je voulais faire ressentir un lieu, à travers la sensation de ce qu’il peut être, même si on ne le voit jamais de sa vie. Je voulais aussi capter quelque chose de très militaire, de très officiel et, pour moi, tout ça va ensemble.
Quand je rajoute un son, c’est vraiment au niveau du bruitage : une porte qui claque ou quelque chose comme ça. Mais j’essaie d’avoir assez de sons pour créer un lieu où le réel soit quelque chose qui peut être de la fiction. J’ai plus ou moins construit le Struthof par petites séquences, ce que l’on entend très bien car il y a du silence entre elles. J’ai fait une sorte de chorégraphie des personnages et j’ai tissé la trame sonore après, mais il y avait déjà des impératifs parce que des sons étaient inscrits sur les interventions des gens.

Je ne reconstitue pas beaucoup. Quand je dis fiction, je ne veux pas dire non-vérité. Puisque ce n’est pas une photo, on organise autrement pour que cela crée une image sonore. Il est rare que les images sonores nous soient données comme cela sans y retoucher, sans raccourcir un son, sans remixer, mettre un peu de ceci avec cela. Dans le Struthof, j’ai rajouté quelque chose qui pour moi était cohérent : la petite fille, bien évidemment absente, chantant La Marseillaise.

Je crois qu’il est très difficile d’écouter de la radio en public. Je ne l’écoute pas comme si c’était du théâtre. Je bouge. Lorsque je fais de la radio, je veux parler à quelqu’un, c’est intime. Tu parles dans le creux de quelque chose, à la personne qui voudra bien écouter ça.

Propos recueillis par Christophe Postic et Éric Vidal

Chronique Lussassienne, samedi

Dernier jour : déjà les rues étaient plus tranquilles, les files d’attente plus clairsemées.
La semaine s’achevait pour Jérôme sur un échec sans appel : Martine avait certes découvert et apprécié bien des documentaires, mais finalement cela c’était fait sans lui. Il s’était comporté comme un snobinard prétentieux avec ses formules à deux balles sur le cinéma, ce que celui-ci doit être et ne pas être, et il se sentait complètement décrédibilisé. Quand il sortirent des Glaneurs…, il prit garde de ne piper mot.
Sur les hauteurs de la terrasse du Blue Bar, ils contemplaient les crêtes montagneuses et le paysage qu’il leur faudrait quitter dès le lendemain, quand Martine se décida à briser le silence pesant qui s’était installé.
– Ben c’est pas mal, Varda, depuis le temps que tu m’en parles…
– C’est vrai, t’as aimé ?
Elle lui prit la main, Jérôme ne put se contenir.
– Ce qui est le plus touchant c’est qu’elle essaie de filmer le monde d’aujourd’hui avec une petite caméra-dv, donc avec des moyens d’aujourd’hui, mais toujours avec sa méthode qui date de cinquante ans, et que les deux ne se juxtaposent jamais vraiment. Elle a toujours ses tics et ses manies, cette façon bien à elle de filmer les gens par le petit bout de la lorgnette, mais malgré ça elle a encore une vraie envie de se colleter au réel.
– C’est vrai, et puis c’est un film qui est assez malin pour ne pas s’imposer comme un film politique, alors qu’il l’est profondément.
– Et c’est d’une telle authenticité : elle n’a jamais cessé de filmer les pauvres ou les exclus depuis son point de vue de bourgeoise rive gauche, de précieuse ou de candide étonnée par la misère du monde. Elle ne triche jamais avec ça, alors que le nombre de réalisateurs qui n’assument pas d’être des petits-bourgeois !
Martine lança à Jérôme un sourire complice. Finalement, elle l’aimait autant pour les efforts maladroits qu’il déployait dans l’expression de ses doutes et de ses joies de cinéma, que pour l’improbable clairvoyance de ceux-ci. Il le sentit, et détourna la conversation :
– Bon on fête ça ce soir au concert de Bernard Lubat !
– Tu te souviens à Millau, quand il a dit cette phrase : « L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » ?
Le jour tombait, Martine était radieuse.
Jérôme eut une dernière pensée pour cette vieille pie de Varda, qui continuait à tourner comme si elle avait vingt ans, avec la même foi, le même bonheur communicatif et il en eût les larmes aux yeux. Il pensa que de retour à Paris, il pourrait montrer Uncle Yanco, son Varda préféré, à sa chère Martine. Il pensa à la semaine écoulée. Les États généraux étaient finis et il y avait tant de films qu’il n’avait pas vus, tant de films à voir encore, à aimer et à décortiquer. Tant de films à montrer à Martine.

Gaël Lépingle

Sur le front de l’oubli

Lorsque, à Vienne, Ruth Beckermann se promène dans les salles de l’exposition sur les crimes de guerre de la Wehrmacht entre 1941 et 1944, ce n’est pas pour s’intéresser aux archives photographiques relatant exécutions, villages décimés et liquidations des juifs. L’argument du film est ailleurs, dans les réactions du public, des anciens qui ont vécu cette période, acteurs ou témoins, et parfois aussi des plus jeunes, leurs enfants. Caméra à l’épaule, elle observe, écoute, interroge. Le film est fait de ces propos saisis sur le vif, de ces brefs échanges improvisés, suscités par le rappel de l’horreur des crimes nazis. Ruth Beckermann prend aussi du temps pour enregistrer le récit des expériences de chacun. La caméra se pose alors, isolant les témoignages, comme pour les soustraire à la passion des débats en les enregistrant individuellement. Peut-être pour leur donner l’occasion, dans un cadre plus propice à la réflexion, de rétablir une vérité difficile à reconnaître et à avouer. Dans tous les cas pourtant, le résultat est particulièrement édifiant. Si quelques-uns jettent un regard sans complaisance sur leur passé, la plupart édulcorent la réalité et rejettent toute forme de responsabilité, personnelle ou nationale. Banalisation des faits, soupçons de partialité envers les exposants, refus de toute auto-critique, négation de l’ampleur des crimes de guerre, absence de culpabilité : les propos recueillis dessinent le portrait peu reluisant d’une Autriche amnésique que les quelques interventions indignées, devant cette Histoire revisitée, ne parviennent pas à atténuer. Les plans uniquement tournés en intérieur, l’agencement compartimenté des salles d’exposition, les cadrages souvent serrés, tout concourt au sentiment d’un huis-clos où l’atmosphère devient rapidement étouffante parce que la parole y est trop souvent étouffée. Ce lieu, où se trouvent accrochés les trous noirs d’une mémoire défaillante, apparaît alors comme celui d’une mauvaise conscience collective et individuelle qu’on ne veut surtout pas exposer (ni explorer).
En soulevant le voile sur le pan d’un passé sombre de l’Autriche, Ruth Beckermann fait ici œuvre de mémoire. Accessoirement, pourrait-on dire. C’est surtout un éclairage sur le présent qu’elle nous donne à voir, et son travail est celui d’une résistante en prise avec la réalité d’un pays malade de son passé refoulé. La dernière scène, où un ancien combattant est impuissant à faire admettre à son interlocuteur que tout ce qu’on nous montre est vrai, n’incite pas vraiment à l’optimisme quant à ses chances de guérison. On se souvient que lors de l’arrivée au pouvoir de Haider, une des explications à la progression de l’extrême droite avait été ce refus de la société autrichienne de régler ses comptes avec son histoire récente. Tournée cinq ans avant la tenue des dernières élections, À l’est de la guerre permet de mieux comprendre une des raisons d’un tel résultat. Le regard de la réalisatrice y apparaît aujourd’hui infiniment lucide. Et terriblement prémonitoire.

Francis Laborie

L’absente

Une image. Que reste-t-il pour nous de Florence Rey sinon un cliché (la une des journaux au moment de son arrestation) ? Un cliché, et bientôt une icône : celle de la rebelle romantique, symbole d’une contestation adolescente qui aurait trop bouffé du Tueurs nés, mais qui pourrait très bien prendre place au panthéon des héros de Nicholas Ray (sans jeu de mots !). En tout cas une imagerie, un bazar fumeux où chacun a projeté ses peurs ou ses fantasmes, loin, très loin de la réalité d’un fait divers, c’est-à-dire de ces faits qui nous prennent plus à la gorge comme une fiction (américaine bien sûr), que comme le symptôme d’une réalité qui nous concernerait vraiment.
Ce que tente Christophe Deleu, c’est justement de désicôniser Florence Rey, en tirant parti au maximum des caractéristiques du documentaire radio, support on ne peut plus approprié pour une telle opération. De l’affaire en elle-même, il ne sera presque rien dit : c’est le contexte qui importe, c’est-à-dire les raisons qui ont amené la jeune femme et son ami, Audry Maupin, à se retrouver embarqués dans la fusillade de Vincennes. La politisation des deux jeunes gens est ainsi remise dans une perspective historique, celle des désillusions lycéennes après les manifestations contre le CIP en 1994, et dans la mouvance de combats alternatifs comme ceux de la fédération anarchiste.
Florence Rey elle-même n’est pas l’objet de l’enquête (objet de nos fantasmes et de nos représentations) mais bien son sujet, ou plutôt un sujet (une personne), autour duquel on tourne par anneaux sphériques de plus en plus serrés (construction morcelée, interventions courtes) mais qui ne tendent pas vers une révélation. Plus on s’approche (la politique, le squat, Audry), plus elle s’opacifie. Le récit est ainsi ponctué de voix chuchotées qui tiennent du complot (mystère d’une réincarnation) et les personnes interrogées ne sont jamais nommées, leurs voix s’incarnant à leur tour dans un royaume d’ombres où le nom importe moins que l’émotion d’un timbre et la chair d’une parole (mystère d’une vérité que personne ne détient).
On n’entendra jamais ni Florence Rey, ni sa famille : cette distance avec la principale intéressée la rapproche paradoxalement de nous. Elle est la grande absente du récit, mais, pour reprendre un distingo formulé avant-hier durant « La bonne distance », l’intention est moins de laisser vacante sa place – cette place que nous serions censés investir, avec tout ce que cette notion a de figé –, que d’en laisser une trace. Sur les traces de Florence Rey, une vie s’écoule, une vie gâchée qui nous touche comme s’il s’agissait de la vie en soi. Les murs de sa prison prennent ainsi une dimension emblématique : au bout de l’avenue des peupliers qui mène à la prison des femmes, la voiture s’arrête, et Deleu (c’est le seul moment où l’on entend sa voix) n’ira pas plus loin. Styx infranchissable, hors champ radical, qui mieux que n’importe quel discours, évoque une douloureuse absence au monde. En lieu et place de Florence Rey, il reste malgré tout, fil rouge de l’histoire et guide fragile, la voix d’une autre jeune fille blessée (la sœur d’Audry) : ce déplacement de l’une à l’autre, c’est simplement l’idée terrible que Florence Rey aurait pu être une autre, n’importe quel autre. L’idée que le hasard transforme nos vies en destin, et que pour se colleter avec cet absurde-là, il faudrait tuer le sens et rendre le monde à plus d’opacité. Soit la démarche, exemplaire, qu’à ici choisit Deleu : la mise en avant du contexte n’explique rien, elle permet juste de créer un territoire, et éventuellement de le peupler. Même si c’est avec des ombres, des morts et des absents.

Gaël Lépingle

Cent ans de solitude

Pripyat est dans la « zone », cet espace de sécurité délimité autour de la centrale de Tchernobyl accidentée. Pripyat est une ville désertée, un endroit empoisonné, surveillé ou l’existence prend parfois des allures de survie.
Geyrhalter choisit ses personnages parmi ceux qui viennent travailler à la centrale encore en service et les rares paysans restés dans la zone. Il les filme séparément, ne provoquant pas de confrontation ou de rencontre. En l’absence de plans de coupe , on ne voit pas ce que les personnages montrent dès que ce n’est plus très proche d’eux. Geyrhalter les met au premier plan, dans un cadre qui les inscrit dans l’espace tout en les laissant au centre de l’attention. Cette valeur de cadre presque constante donne un statut égal aux personnages. À Pripyat il n’y a pas de vérité, il n’y a que des façons différentes d’appréhender le danger, d’avoir une attitude qui permette de l’intégrer à sa vie.
Les interviews, laissent le temps aux personnages de se raconter sur un ton souvent proche de la discussion conviviale. Ils rendent compte de la proximité parfois presque complice, que Geyrhalter a su créer avec ses personnages.
Il ne les filme que peu dans leurs activités, mais les suit longuement dans leurs déplacements, en fait les guides des visites de leurs lieux familiers. Dans ces longs plans à la fluidité étonnante, Geyrhalter se place souvent dans leur dos, n’entravant pas leur progression pour préserver leur propre rythme. Cette insistance dans la durée et le cadre devient un partage où l’on peut apprécier la posture, la démarche des personnages : lorsque nous suivons les pas précipités de la technicienne qui refait après longtemps le trajet vers son ancienne habitation, dans un travelling qui en garde l’intégralité, l’impatience du personnage devient alors tangible. Le pas sûr du responsable de la centrale lorsqu’il en parcours les couloirs, sa façon presque désinvolte de marcher sur le toit du réacteur nous renvoie à l’indéfectible confiance qu’il doit avoir ou arborer pour continuer à travailler ici. Dans ce jeux de douce course-poursuite entre le cadre et les personnages, les déplacements des corps dans l’espace révèlent la relation des personnages à leur environnement, deviennent des interfaces privilégiées de la perception du spectateur.
La grande cohérence d’écriture cinématographique de Geyrhalter est servie par un sens rigoureux de la photo. Il n’enquête pas, il ne cherche ni explication ni coupable mais bien à rendre sensible l’invisible, à donner une image du très large spectre de ce qui est mis en jeu par les conséquences de telles catastrophes.

Boris Mélinand

Électre libanaise

Danielle Arbid, libanaise installée à Paris, est revenue à Beyrouth pour questionner. Questionner les lieux, questionner les gens, se questionner elle-même. Elle avance, déterminée, presque agressive, et fait du rentre-dedans pour soutirer des informations, que ce soit à un épicier, une petite fille ou un ministre (dans un pays où tout le monde a l’air de faire l’autruche). Danielle Arbid marche, roule en voiture, parcourt et sillonne le pays, à la recherche d’un lieu qui condenserait en lui les meurtrissures de la guerre (un symbole, un mémorial, une plaque commémorative). Mais sa recherche est semée d’embûches, d’obstacles, de difficultés. Il y a autant de photos qu’il y a de morts, et autant d’histoires qu’il y a de photos. Il y a ceux qui ont oublié et ceux qui se souviennent. Il y a ceux qui vivent encore dans le passé et ceux qui ne vivent que dans le présent. Pour elle, pourtant, une chose est sûre : la guerre a bel et bien eu lieu, et le Liban est un cimetière à ciel ouvert, sans sépulture.
Sont là pour le prouver les armes à feu qui circulent dans tout le film : le revolver que continue de cacher chaque jour le père de Danielle Arbid sous l’oreiller de son lit, les armes de ceux qui furent miliciens, et celles qui passent aujourd’hui encore dans les poches des enfants qui traînent dans les rues. La cinéaste elle-même, devenue une sorte de vengeresse sans répit, marchande l’achat d’un gun. Toucher permet-il de comprendre ? Oui, mais pour toucher, Danielle Arbid a choisi : c’est sa caméra qui pointe, qui vise. À la fin du film, elle rencontre Mohamad, traumatisé par la guerre, qui porte « le mal » en lui. Son seul répit : reparcourir les lieux de mort déserts, les immeubles criblés de balles, les escaliers défoncés qu’on grimpe dans le vide pour avoir encore plus le vertige. Son corps tout entier ne fait que se cambrer, se briser, fondamentalement crispé. Le seul geste harmonieux qu’il arrive encore à faire, c’est mimer la mitraillette, appuyer sur la gâchette. Là, on dirait qu’il danse.
Le film de Danielle Arbid obéit à une chorégraphie de la nécessité. Rien de plus nécessaire qu’aller sur place, que de parler, que de rencontrer. Chaque visage porte en lui une parcelle de l’histoire, chaque porte cache en elle un récit qu’il pourrait s’agir de s’approprier. La réalisatrice frappe sur une immense porte noire, puis sur une immense porte rouge, alors qu’autour d’elle fusent les avis contraires : « Frappe là… la noire… non, la rouge… non, la noire ». Elle frappe avec force. Personne n’ouvre. Où commence la fiction, où commence la supercherie ? Laquelle de ces portes a quelque chose à raconter ? Laquelle de ces portes cache le vide ? Même si elle n’obtient pas de réponse, cela ne l’empêche pas de continuer sa marche pour la vérité, ou plus exactement pour la mémoire. De continuer cette chorégraphie des visages et des plans, mélangeant les supports Super 8 et vidéo, les « images-document » et les « images-fantasme », entraînant le spectateur dans ses rêveries d’adolescente (le souvenir incarné de son cousin avant qu’il ne meure), ses rêves d’adulte (l’entrée dans Beyrouth se fait au rythme du Ring, son autoroute intérieure, et de la musique lancinante et orchestrale de la divine Fairouz, symbole vivant de la ville, qui n’a jamais quitté le pays en temps de guerre, et qui a maintes fois chanté la réunification de Beyrouth), et ses rêves de demain (un plan fantastique nous montre trois drapeaux libanais qui semblent tomber en chute libre, puis s’envoler dans une lumière métallique bleutée, totalement irréelle).
À la fin du film, vêtue de noir, telle une veuve ou une passionaria, Danielle Arbid marche près de la mer, ses cheveux dissimulant ses traits, avec la démarche fière d’une reine qui regarde son royaume déchu, Électre de tout un peuple. La Méditerranée est bleue. Elle brille. Et c’est la mer, immense et sereine, qui, par contraste, lui donne le mieux à visualiser les atrocités des tortures, et les paradoxes de ce conflit de dix-sept ans. Le monde est là, devant elle, brut. Mais les yeux de Danielle Arbid ne cessent de regarder conjointement en-deçà de l’horizon et au-delà, à l’extérieur et à l’intérieur d’elle-même.

Matthieu Orléan

Chronique Lussassienne, vendredi

Dès le matin, ils commencèrent à s’engueuler. Jérôme épluchait rageusement le programme du jour, incapable de choisir entre les films de Beckerman et les radiodocs, tandis que Martine cuvait une incommensurable fatigue dans son troisième café.
– Mais laisse tomber les films une seconde ! Moi j’ai plutôt envie de profiter du soleil là, on rentre à Paris dans deux jours et après finies les vacances, alors…
Scandalisé par une démission aussi vulgaire, Jérôme prit la mouche et passa seul la journée aux radiodocs. Ils se retrouvèrent pour Seule avec la guerre, mais en sortant, les choses empirèrent. Martine avait adoré, Jérôme déclencha les hostilités.
– Ouais, c’est sûr que c’est, de loin, le meilleur film de la sélection. Mais quand on y réfléchit, il s’agit plus d’une belle enquête journalistique que d’un documentaire de création proprement dit.
– Et alors, c’est quoi le problème ?
– Ben il suffit pas de mettre des images Super 8, une voix off un peu perso et de filmer son père cinq minutes pour doter un film d’une vrai forme documentaire.
– Ce que tu peux être con des fois, avec tes catégories ! Moi j’en ai rien à foutre de savoir si c’est un documentaire, du journalisme ou un reportage ou je ne sais quoi, du moment qu’il y a du cinéma !
– Oh la la ! Et ça veut dire quoi « il y a du cinéma » ? C’est quoi cette notion préhistorique ?
– Ben j’en sais rien Jérôme, je le dis avec mes mots. Par exemple la rencontre avec le guide au début, filmée à deux caméras, on commence comme dans une fiction, ce qui est une belle idée pour un film qui va s’acharner à dénoncer les fictions mensongères, amnésiques ou traumatiques du pays. Idem la fin, la musique, le regard caméra…
– C’est super banal comme procédé !
– Justement, c’est assez osé de l’utiliser aussi éhontément, ça manque pas de classe. Et la scène des portes, sur la place, où elle se fait rembarrer par tous les mecs, ça dure, ça dure, c’est terrible, là elle accède complètement au statut de personnage, c’est un grand moment de cinéma, je sais pas comment le dire autrement… Je suis désolée mais ton histoire de catégorie, c’est exactement la même façon de penser que celle des diffuseurs avec leurs histoires de case, de collection, de format, de soirée théma et j’en passe et des horreurs…
C’en était trop. Honteux et humilié, Jérôme passa la nuit à se saouler au Blue Bar en racontant sa journée radiodocs à qui voulait l’entendre.
– Ce qui est formidable, dès qu’on est privé d’images, c’est qu’on entre dans une perception moins hystérique des choses. Il y a moins de place pour la fascination, le voyeurisme, comme si les oreilles étaient plus adultes que les yeux, qu’elles ne se laissaient pas avoir aussi facilement.
Mais à quoi bon parler, Jérôme savait pertinemment qu’il préférait se laisser infantiliser par les films qu’il aimait, parce que le cinéma c’était l’enfance, et que c’était une sensation trop douce pour jamais s’en défaire.
Il pensa à Martine : elle n’était pas revenue, et il ne restait qu’un jour pour tout rattraper.

Gaël Lépingle

Citizen Hariri

À l’occasion de la première diffusion de L’homme aux semelles d’or, nous avons rencontré Omar Amiralay, son réalisateur.

L’esthétique de L’homme aux semelles d’or est très recherchée. Est-ce une caractéristique propre à ce film ou procédez-vous toujours ainsi ?
J’essaie de trouver à chaque fois une esthétique qui correspond au sujet que j’aborde. Je ne sais pas de quelle esthétique vous parlez. Est-ce que c’est l’esthétique plastique du film ou l’esthétique de l’écriture ?

Les deux.
Je viens de la peinture. Je crois que j’ai toujours gardé ce regard. Je puise mes références dans le pictural, mais je n’y fais plus attention : c’est devenu comme les cils de mon œil. Je ne me force pas quand je fais une prise de vue, je ne cherche pas l’angle ni l’équilibre des volumes. Un peu comme quand vous choisissez vos vêtements le matin, ça fait partie de votre garde-robe : cette façon de faire est ma garde-robe esthétique. Par contre la forme qui reste pour moi le lieu de recherche, c’est l’ esthétique de l’écriture. C’est là que se pose actuellement le vrai problème du documentaire. On est trop souvent pris par le contenu, le sujet, la force de la réalité. On oublie complètement l’écriture cinématographique. C’est ce que je cherche toujours dans un film mais je ne le réussis pas à chaque fois.

Votre film s’ouvre et se ferme, au propre comme au figuré, sur le même plan : une mâchoire d’acier s’écarte, on découvre Rafiq Hariri en contre-plongée puis, à la fin du film, elle se referme sur le personnage.
J’ai voulu montrer que si l’homme a été battu dans le film par la malice et le charme de Rafiq Hariri, celui-ci n’a pas pu avoir raison de l’auteur, c’est-à-dire de l’artiste ou du créateur. C’est une façon de sauver la face. Il fallait absolument trouver une forme d’expression sans parole, sans commentaire, pour que la chose s’exprime comme ça. D’où notamment ces deux plans.

Dans l’ensemble, comment vous êtes-vous préparé à cette rencontre ? Qu’en attendiez-vous au préalable ?
L’image est un réel pouvoir : on peut faire de son sujet ce que l’on veut. Cette fois, je voulais me mettre à l’épreuve, me mouiller vraiment, sans me cacher derrière la caméra. Je ne voulais pas avoir ce rapport avec un homme de pouvoir. Je voulais vraiment mettre à l’épreuve mes capacités humaines et non artistiques, c’est-à-dire mes capacités intellectuelles. Comme dans un duel, j’ai voulu voir qui gagnerait la partie. Je m’attendais à être charmé par Rafiq Hariri. Il est connu pour soudoyer tous ceux qui l’approchent. Je m’attendais à ce qu’il agisse de cette manière. Il a très bien compris où je me situais politiquement : du coup, il a adopté le rôle de quelqu’un de gauche, engagé pour la cause des hommes. Il réfutait tous mes arguments et, petit à petit, je me suis senti inextricablement pris au piège. J’aurais très bien pu ne pas avouer cette réalité au montage. J’aurais pu tourner des choses qui auraient suffit pour le dénoncer ou pour le condamner en tant qu’homme de pouvoir. Mais j’ai voulu aller jusqu’au bout de ma démarche et avouer que, quand l’intellectuel ou le cinéaste lâche ses armes, il perd contre l’homme de pouvoir. Il va jusqu’à perdre son titre de cinéaste. Pourtant, le film a fini par être un jeu, pour moi. Un jeu autour de la problématique que peut susciter un rapport franc, transparent entre un auteur et un homme de pouvoir et d’argent. Parce qu’il faut absolument que je l’avoue : le seul fait d’avoir été reconnu par cet homme c’est quelque chose qui m’a chatouillé, qui m’a…

Touché ?
Oui, exactement : ça m’a fait oublier la raison même pour laquelle je suis venu le voir et tout ça transparaît dans le film. On connaît cette problématique dans le rapport de l’intellectuel avec le pouvoir, c’est quelque chose d’absolument énigmatique et confus. Je crois que les intellectuels essaient toujours d’esquiver cette histoire-là.

Parfois on a le sentiment que vous saviez déjà que vous alliez perdre.
Ç’est le vice du cinéma, de la création que de devenir la victime de son œuvre. C’est un jeu absolument pervers. Il y avait quelque chose qui m’échappait dont je ne me rendais pas compte, dont je n’étais pas conscient.

Ce sentiment se retrouve dans la voix off alors que, dans les images, quand vous le filmez dans son appartement, là, sans aucun commentaire on comprend que c’est un manipulateur, qu’il veut le pouvoir à tout prix.
Là, il y a « schizophrénie », et heureusement que l’œil n’est pas tombé dans le piège. L’œil c’est la mémoire d’un cinéaste, d’un auteur. Il retient la fascination de l’auteur envers l’homme de pouvoir.

Vous aviez déjà écrit la voix off ?
Non. Le commentaire est venu vraiment en dernier recours, à la fin, pour faire sortie honorable.

Pourtant, vous dites que Rafiq Hariri n’a pas vaincu le cinéaste qui est en vous. Comment justifiez-vous cela ?
Par la mise en scène. C’est le cas des deux plans dont vous parliez tout à l’heure. Je l’ai amené par exemple dans cet endroit à Beyrouth qui est une boite de nuit très exploitée visuellement, construite sur une fosse commune. Il y avait là un camp de réfugiés palestiniens. Les forces de la droite libanaise les ont pris en otage et les ont massacrés. L’endroit évoque donc les atrocités de la guerre civile, et tout le monde a filmé cette boite qui apparaît aujourd’hui comme un élément folklorique de cette guerre. L’entrée ressemble à la structure d’une coquille métallique qui s’ouvre sur un escalier et permet d’accéder à l’intérieur. C’est pour moi une ouverture sur l’abîme. Je lui ai donc dit que j’allais l’amener dans un endroit, qu’il ne devait pas me demander pourquoi, mais que c’était dans l’intérêt du film. Il a accepté. Je voulais associer cet endroit qui m’impressionne et me rappelle la tragédie libanaise avec ce personnage qui a été parachuté dans cette réalité. Rafiq Hariri est venu d’Arabie Saoudite. Je voulais associer les deux mais de façon impressionniste, pas du tout réfléchie ou manigancée. Ce n’est qu’au montage que j’ai découvert que cela pouvait servir à quelque chose, comme l’ouverture d’un rideau, jouer sur le théâtre, la facticité du personnage. Cette idée est un peu dans tous mes films. Je ne fais pas du reportage. Je travaille mes personnages entre le documentaire et la fiction. C’est pour ça que je me permets d’installer les éclairages, de parler avec mes personnages jusqu’à l’épuisement du documentaire. Le documentaire, c’est quelqu’un qui s’attend à ce que vous lui posiez des questions, des choses bien précises, c’est quelqu’un qui se met en représentation. Mais c’est dans l’épuisement qu’apparaît la réalité dramatique du personnage : ce qui est en dehors de son contrôle. Avec Rafiq Hariri, j’ai 155 heures d’entretien, alors que c’est quelqu’un de très pris. De ce côté là, il s’est prêté au jeu. Pour lui aussi c’était un défi, c’est-à-dire qu’il voulait abattre un intellectuel venant d’un bord opposé. C’est la première fois que le film est montré et pour moi il est important de voir les réactions du public à ce jeu, parce que je tiens à dire que c’est un jeu.

Propos recueillis par Manuel Briot, Marie Gaumy et Eric Vidal