Chronique Lussassienne, samedi

Dernier jour : déjà les rues étaient plus tranquilles, les files d’attente plus clairsemées.
La semaine s’achevait pour Jérôme sur un échec sans appel : Martine avait certes découvert et apprécié bien des documentaires, mais finalement cela c’était fait sans lui. Il s’était comporté comme un snobinard prétentieux avec ses formules à deux balles sur le cinéma, ce que celui-ci doit être et ne pas être, et il se sentait complètement décrédibilisé. Quand il sortirent des Glaneurs…, il prit garde de ne piper mot.
Sur les hauteurs de la terrasse du Blue Bar, ils contemplaient les crêtes montagneuses et le paysage qu’il leur faudrait quitter dès le lendemain, quand Martine se décida à briser le silence pesant qui s’était installé.
– Ben c’est pas mal, Varda, depuis le temps que tu m’en parles…
– C’est vrai, t’as aimé ?
Elle lui prit la main, Jérôme ne put se contenir.
– Ce qui est le plus touchant c’est qu’elle essaie de filmer le monde d’aujourd’hui avec une petite caméra-dv, donc avec des moyens d’aujourd’hui, mais toujours avec sa méthode qui date de cinquante ans, et que les deux ne se juxtaposent jamais vraiment. Elle a toujours ses tics et ses manies, cette façon bien à elle de filmer les gens par le petit bout de la lorgnette, mais malgré ça elle a encore une vraie envie de se colleter au réel.
– C’est vrai, et puis c’est un film qui est assez malin pour ne pas s’imposer comme un film politique, alors qu’il l’est profondément.
– Et c’est d’une telle authenticité : elle n’a jamais cessé de filmer les pauvres ou les exclus depuis son point de vue de bourgeoise rive gauche, de précieuse ou de candide étonnée par la misère du monde. Elle ne triche jamais avec ça, alors que le nombre de réalisateurs qui n’assument pas d’être des petits-bourgeois !
Martine lança à Jérôme un sourire complice. Finalement, elle l’aimait autant pour les efforts maladroits qu’il déployait dans l’expression de ses doutes et de ses joies de cinéma, que pour l’improbable clairvoyance de ceux-ci. Il le sentit, et détourna la conversation :
– Bon on fête ça ce soir au concert de Bernard Lubat !
– Tu te souviens à Millau, quand il a dit cette phrase : « L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » ?
Le jour tombait, Martine était radieuse.
Jérôme eut une dernière pensée pour cette vieille pie de Varda, qui continuait à tourner comme si elle avait vingt ans, avec la même foi, le même bonheur communicatif et il en eût les larmes aux yeux. Il pensa que de retour à Paris, il pourrait montrer Uncle Yanco, son Varda préféré, à sa chère Martine. Il pensa à la semaine écoulée. Les États généraux étaient finis et il y avait tant de films qu’il n’avait pas vus, tant de films à voir encore, à aimer et à décortiquer. Tant de films à montrer à Martine.

Gaël Lépingle