Palette humaine

La belle idée du documentaire de César Paes, Le Bouillon d’awara, c’est de décrire, cerner les enjeux d’une situation sociale spécifique. Sur cette proposition le cinéaste réussit à tenir une démarche de réalisation ludique tout en multipliant les points de vues.

Les mille cinq cents habitants de Mana, en Guyane française composent une société pluri-ethnique, multicolore, aux diverses religions. Les personnages symboles de ce corps social diversifié exposent leurs parcours individuels. César Paes capte leur quotidien. Amérindiens, Créoles, Noirs marrons, Suri­na­miens, Hmongs, Européens, Bré­­si­liens, tous se livrent à nous. Par là même, le film pointe les situations, joue de la résonance des propos pour tenter de répondre concrètement au questionnement suivant : Quelles voies possibles pour une société multiculturelle ? Quel fonctionnement ? Quels aména­ge­ments ? Ce documentaire arrive au bon moment.

La préparation du plat-titre, le bouillon d’Awara, constitue le leitmotiv du film. Cette recette, qui inclut en ingrédients « tout ce qu’il y a sur terre » a valeur de savoureuse métaphore du bouillon des cultures. Melting-plat pour un melting-pot. La structure narrative du film propose malicieusement ce parallèle : comme les épices dans le bouillon d’Awara, les groupes ethniques se sont saupoudrés petit à petit dans le chaudron du bourg de Mana. Cela se traduit à l’image par une belle suite de visages tous différents. On ne sait jamais qui va intervenir, ni la couleur de sa peau. Profusion de langues, d’accents, richesse sonore. Le cadre aéré laisse le décor nous imprégner, l’image « grand-angle » nous le détailler. Les musiques émaillant le film renforcent aussi ce contexte de diversité.

Mais ce film joyeux n’occulte pas les problèmes de la cohabitation. C’est l’âcreté du bouillon. Évoquant les peurs de la perte identitaire, le cinéaste ne pointe pas assez cette friction nécessaire de l’interculture. Par contre, il insiste sur l’école, le travail, les commerce, l’administration, passerelles inter­ethniques. Comme sur la digestion de ces communautés par la France, « mère patrie ». L’un des personnages nous exhibe fièrement sa carte d’identité fraîchement obtenue.

Le Bouillon d’Awara, même s’il comporte certaines longueurs, tisse un canevas dense de pistes socio-ethnographiques, à la limite de l’explosion. Il nous laisse repus, comme après un bon bol du plat guyanais. Au final, on éprouve une sensation de satisfaction. Presque un sentiment de victoire contre l’intolérance et le racisme rampant. Éventail multicolore d’individus, le bouillon d’awara est un film généreux.

Jean Jacques N’diaye