Retranscrire un événement au travers d’un film sans disposer d’images sur support filmique, c’est la tâche à laquelle se sont attelés Brooks et Hayling dans 17 octobre une journée portée disparue.
L’absence d’images filmées, comblée par quelques photographies n’a-t-elle pas permis de retranscrire ce qu’a réellement été le 17 octobre 1961 ?
Prenons d’abord l’un des extraits du film de Panijel Octobre à Paris, que les deux réalisateurs ont inclus dans leur montage. Un algérien retourne au 28, rue de la Goutte d’or, et raconte, tout en les mimant, les séances de torture qu’il a subies. La caméra de Panijel est là, elle filme. Observons maintenant, la photo prise par Elie Kagan le soir du 17 octobre, où l’on voit un algérien, le visage ensanglanté et le regard désemparé. L’extrait de film devrait, à priori, être plus dur à regarder, à entendre, à supporter et donc mieux retranscrire ce qu’a été l’acte de violence. Et pourtant, le cliché photographique nous permet de ressentir de manière beaucoup plus intense cette soirée du 17.
Tout le monde se souvient de ces quelques mètres de pellicule où l’on peut voir un responsable Viêt-minh se faire abattre froidement d’une balle dans la tête par un officier sud-vietnamien engagé au côté de l’armée américaine. De ce film, on a tiré un photogramme, devenu une « photo-symbole », qui dégage plus de violence et de dureté que le film lui même. Extrait du film, ce photogramme devient « un instant privilégié ». Si le cinéma peut filmer ces « instants privilégiés », et c’est le cas ici, il ne peut cependant pas les restituer comme tel. Il faudrait pour cela filmer le temps arrêté. Il s’en approche parfois, avec Eisenstein qui utilise des plans de visages très expressifs, proches de la photographie. Dans le film de Brooks et Hayling, parmi les témoignages et les archives, ce sont les clichés de Kagan qui parviennent le mieux à saisir, au travers de « l’instant privilégié », la violence et la barbarie. Le regard fixe de cet algérien en dit beaucoup plus que son visage ensanglanté. Si des caméras avaient été présentes ce jour là, elles auraient probablement plus filmé l’acte de violence, que la violence de l’acte. La photographie, elle, s’attache à capter ces « instants privilégiés », qui nous en disent souvent plus que la scène prise dans sa continuité. Ainsi, en intégrant ces clichés dans leur film, ils font coexister sur un même support, de façon complémentaire, deux catégories d’images qui ont leur propre langage. Quoiqu’il en soit, films ou photographies, la preuve par l’image est bien là. Savoir si cela a existé est important, mais comment cela s’est passé, et comment cela a pu se produire le sont tout autant.
Arnaud Soulier