Filigrane

Il ne lui reste plus que quelques jours à bosser. Encore quelques Ricard à servir, quelques verres à essuyer, un dernier repas pris à la va-vite, et basta, il rend son tablier de garçon de café et se tire de Lussas. « États généraux du film documentaire ». C’est ça qui l’avait attiré ici. Surtout le mot « film ». Ça lui avait illuminé l’esprit avec la force d’un projecteur. Une telle réunion de films, pour lui, ça voulait dire festival. Un mot pailleté de strass. Et des festivals, il en avait déjà vus. A la télé pour être exact. Avec tous ces photographes qui tournaient tout autour comme des mouches. Ah, quelle chance ils avaient, ceux-là ! Et c’est bien de ça qu’il avait envie. Être comme eux. Voir des stars. Les servir. Leur parler peut-être. « Un café, s’il vous plaît. », « Voilà, Madame Deneuve. », « Une petite… euh, bière, Monsieur Bel­mondo ? », « Oui, merci… Non, gardez la monnaie. »

Imaginez un peu. Et une dédicace par-ci, un sourire par là. Les côtoyer. Surprendre leurs conversations au hasard d’une commande. Leur donner du feu peut-être. Exister quoi. Tiens, il emmènerait son petit Kodak, histoire de prendre quelques clichés à faire baver de jalousie ses collègues de boulot. Ils n’en reviendraient pas d’une telle chance, eux qui auraient passé l’été derrière de tristes comptoirs. Et aujourd’hui, alors que la semaine se termine, il n’a toujours pas vu l’ombre du parfum d’une vedette. Même pas à la télé. Ici, les stars s’appellent Comolli ou Labar­the. En plus, il paraît que Bernard Rapp était là, mais sans ses lunettes il ne l’a pas reconnu… Tu parles d’une déveine ! Alors le projecteur s’éteint doucement pour assombrir son esprit d’un voile d’amère fatigue. Décidément, la vie est vraiment merdique.

Francis Laborie