L’antichambre d’une mémoire

Le mouvement de grèves de l’hiver dernier a accouché d’une masse d’images pour la plupart tournées en son sein même. Avec les « moyens du bord », ceux de la vidéo, elles témoignent de l’émotion et des luttes engendrées par la réforme de la protection sociale. Ce flux soulève une question : à l’heure du tout médiatique, les images peuvent-elles accompagner des formes naissantes de citoyennetés ? Si oui comment, et sous quelles formes – y compris esthétiques ? Nous verrons comment « Décembre en août » tentera de répondre à cette question.

Les conditions dans lesquelles les réalisateurs de Chemins de traverse ont accompagné les acteurs de cette grève, témoignent peut-être de ces problématiques. Partis avec l’idée de garder une trace des événements, ils décident de s’engager sans aucune véritable structure de production. C’est finalement cette liberté de moyens qui permettra au film d’exister trois mois plus tard, dans sa version quasi définitive. Cette inscription dans un cinéma « engagé » appelle cependant quelques réserves sur lesquelles nous reviendrons.

Dans le film, très vite, la mémoire des grandes luttes antérieures hante tous les esprits, notamment ceux des plus jeunes pour qui les sentiments d’injustice et le désir de changement cristallisent l’engagement naissant.

L’attente, la convivialité, les problèmes familiaux, le découragement, la solidarité, les conflits, les utopies, l’espoir, l’idéologie, autant de signes et de traces d’une équipe de grévistes au travail. Les manifestations dont l’importance s’accroît, scandent ce que chacun aimerait voir déboucher au plein air, en plein jour.

Entre les AG du matin et l’intendance, chacun à son tour se livre dans l’antichambre de l’entretien. Instants de répit à l’abri du tumulte, où la parole se libère dans l’espace qui lui est accordé. Pas de grandes révélations mais une humilité qui nous conduit de l’émotion au constat fort d’une société qui se fissure et emporte ceux qui n’en peuvent et n’en veulent plus. Le film prend donc le temps précieux de laisser cette parole s’installer, et circuler d’un point de vue à l’autre pour tisser la trame d’une société plus décente et respectueuse.

Le droit de grève devenant un privilège, la communauté qui advient s’avère le dernier refuge d’un esprit de lutte dont la victoire profiterait à tous. Ces cheminots le savent, ceux arrivés à la SNCF par filiation comme ceux rescapés de la précarité ou de licenciements. Tous sont porteurs de cette identité de « corps résistant ».

Nous le savons aujourd’hui, la grève aura conduit à une semi-victoire pour ces travailleurs, à un semi-échec pour l’ensemble et à une bataille d’amendements pour les autres. À Austerlitz, cette grève nous mènera jusqu’à une confrontation avec la direction, entité muette retenue par les grévistes, exigeant d’elle la transformation d’emplois précaires en embauches définitives. Comme métaphore d’une absence de communication plus globale, ce moment épique s’il conduit les revendications à une fin, ne laisse pas forcément présager de lendemains qui chantent.

C’est sûrement un choix de connivence ou de grande proximité des réalisateurs qui permet au film d’exister avec toutes ses qualités. Mais le pendant d’un tel traitement est de manquer parfois de distance et de ne pas permettre, ou de ne pas toujours s’autoriser les retours critiques qu’on attendrait. Ainsi on regrettera par moments, la redondance des propos quittant une authenticité certaine, pour entrer dans un discours remâché et bien appris, démuni d’élargissements critiques et de souplesse.

Christophe Postic