Visiblement je vous aime, de Jean-Michel Carré

«Au début, c’était un pari risqué : jusqu’au premier jour de tournage, je ne savais pas si ça allait fonctionner. Et peu à peu, on est devenu un groupe. Un groupe homogène qui travaillait sur le même projet.»

Visiblement je vous aime est l’histoire d’une expérience humaine et cinématographique. C’est l’histoire d’une rencontre entre un metteur en scène, des auteurs, une équipe de techniciens, des comédiens et un lieu (le Coral, lieu de vie créé en 1975 par Claude Sigala, accueillant des jeunes en difficulté -psychotiques, autistes, délinquants-).

Le film s’ouvre avec des images violentes de Paris (trafic, règlement de comptes, prostitution) et s’achève au milieu des vignes, dans un village de Petite Camargue. Entre les deux, il y a le chemin parcouru par Denis, délinquant récidiviste placé au Coral par un juge d’instruction soucieux de suivre ce qui se passe dans ce lieu.

En choisissant d’amener son équipe (techniciens et comédiens) au cœur du Coral, et de tourner avec les jeunes et les éducateurs, J-M. Carré atteste que tout film, qu’il soit qualifié de fiction ou de documentaire, est histoire de rencontre. Que ce soit celle inscrite dans le scénario (la trame fictionnelle) mais aussi celle qui peu à peu, nourrie par le réel, va s’inscrire dans le film.

Si Denis – personnage de fiction – va évoluer au contact des jeunes, c’est aussi en tant qu’individu, avec toutes ses émotions, que son personnage entre en relation avec l’autre, enrichissant l’histoire écrite de celle qui se vit au présent.

Pour que cette réalité s’inscrive dans le film, pour que l’expérience artistique rejoigne l’expérience humaine, il a fallu créer un dispositif de mise en scène ouvert : «les comédiens étaient sans cesse sujets à l’improvisation, ouverts aux réactions inattendues des jeunes. De plus, la présence d’une deuxième caméra à l’épaule a permis de saisir le hors champ et de l’intégrer à l’histoire du film».

Cette démarche fait vivre les personnages de manière juste : ce ne sont plus des professionnels mis en scène (professionnels de l’éducation ou de la comédie) mais des individus en train de vivre une histoire.

Et dans ce lieu où la règle n’est pas d’éduquer mais de vivre (faire vivre et laisser vivre), le film trouve une place juste et entre en résonance avec la réalité à laquelle il s’est confronté.

Arlette Buvat