Reflets dans un œil d’or

Une femme vêtue d’un vêtement blanc traverse lentement l’écran, éclairée par la lumière d’une bougie. Autour d’elle, la pénombre est totale. Une scène introductive qui pourrait être un tableau de La Tour. Cavalier annonce d’entrée la couleur : son univers sera étroitement lié à celui du peintre.

Cette femme est une invitation, elle nous emmène dans un monde d’ombre et de lumière pour une visite qui ne sera pas celle d’un musée traditionnel. Les mots de Cavalier ne sont pas ceux d’un spécialiste, mais plutôt ceux d’un passeur qui va nous accompagner au cœur d’une œuvre, d’une manière toute personnelle. Aucun académisme derrière un regard où l’érudition se cache sous une grande humilité. Humilité qui lui fait faire appel à un « professionnel » pour nous faire comprendre comment le peintre a pu résoudre un des problèmes picturaux auquel il s’est trouvé confronté : l’émergence de la lumière.

Comme La Tour, Cavalier va à l’essentiel. La vie du peintre est ainsi évacuée en moins de temps qu’il n’en faut pour couper une miche de pain. Et le peu que l’on sait sur le bonhomme n’incitant pas vraiment à la sympathie, mieux vaut s’intéresser à son testament artistique.

Les toiles de La Tour, disposées dans l’atelier de Cavalier, posent d’emblée le problème de leur représentation au cinéma. Les dimensions du cadre cinématographique sont trop éloignées de celles du tableau pour permettre une approche globale de celui-ci. Alors Cavalier va promener sa caméra, exploration intérieure du tableau semblable à un pèlerinage intime. « Madeleines picturales », les sujets peints réveillent des souvenirs qui racontent autant l’œuvre que celui qui la regarde. Leur approche ouvre les champs d’un domaine privé dans une lecture qui s’échappe des chemins conventionnels. Et cette manière toute personnelle d’aborder l’œuvre a pour heureuse conséquence de nous la rendre plus proche, et surtout encore plus touchante.

La voix de Cavalier, au débit haché, comme hésitante, a le ton juste pour dire les liens d’intimité qui l’unissent à La Tour. Aucune affirmation dans les propos, mais une réserve pleine de modestie. « C’est paraît-il… ». Et dans cette parole entrecoupée, La Tour, ce peintre du silence, trouve tout naturellement sa place.

Mais Cavalier ne se limite au seul registre personnel. Il filme des toiles dénudées de leur cadre et les libère ainsi de leur carcan séculier. En convoquant Rembrandt, Veermer ou Picasso, La Tour n’est plus seulement un peintre du xviie, mais un artiste qui s’inscrit dans une histoire plus universelle. Et le choix de prendre le thème du « regard » dans la peinture, pour illustrer des résonances qui se répondent à travers les siècles, a évidemment valeur de symbole. Regard du peintre, regard du spectateur et regard du cinéaste. Et Cavalier de trouver des correspondances avec d’autres arts – les photos de Sanders, par exemple – avant de rapprocher les recherches de La Tour de son propre travail. L’influence du peintre sur le réalisateur, dont les thèmes semblent se nourrir des mêmes obsessions, est particulièrement saisissante dans la scène de Thérèse que nous montre le cinéaste.

Les mains de Cavalier, en guidant notre regard tout au long du film, sont comme un rappel de cette proximité d’univers. Souvent proches des sources de lumière dans les œuvres de La Tour, les mains éclairent ici des propos dont le but est avant tout de nous faire partager une passion.

Francis Laborie