Intervista

Après la projection de la Conquête de Clichy et dans le cadre du séminaire Affinités Électives, Christophe Otzenberger nous a accordé une interview.

À la vision de ton film, une des premières questions qui vient à l’esprit est celle de l’importance de l’équipe.

Ce n’est pas une histoire de nombre, c’est une histoire de temps. Dans les films que j’aime, je regarde avant tout combien de temps les gens sont restés. Depardon est resté six mois, Marker prenait un temps fou pour faire les films. Moi, j’ai décidé de rester avec ces gens longtemps et la proximité, elle s’est faite comme ça. La première séquence, c’est le deuxième, troisième jour de tournage. Et là on y a été au flan. Il faut que tu saches un truc, Gabin disait «un film, c’est une bonne histoire avec de bons acteurs». Un documentaire, c’est une bonne histoire et de bons acteurs. Schuller, c’est un homme politique donc un mec qui a besoin de la caméra pour exister. Il était complètement inconnu à l’époque et avait envie de montrer combien il était formidable. Donc il s’est prêté au jeu. Il a joué la comédie, sa propre comédie et ça marche. Cela dit, on était trois ou quatre, sur les grosses parties on était quatre. Il y avait un opérateur, un ingénieur du son, un assistant et moi. Quelquefois on a tourné avec une deuxième caméra. Les jours d’élections, il y avait deux équipes complètes, une au PS, une autre au RPR. Mais le plus souvent nous étions trois.

Avant la projection de ton film, tu as dit que tu avais choisi de filmer Schuller alors qu’il n’était pas connu, afin de faire un documentaire sur la politique locale.

Oui, c’est ça. J’avais envie de raconter ce qu’est une campagne de terrain. Comment on fait de la politique de terrain. Je me demandais comment on fait pour prendre une ville et je suis tombé sur Schuller un peu par hasard. C’est mon assistant de l’époque (mon producteur maintenant) qui m’a trouvé Schuller. Je l’ai vu, j’ai vu comment il fonctionnait en ville et j’ai dit : «il faut faire un film avec ce mec là». Les petites attentions, les petits cadeaux, comment on fait pour séduire les gens politiquement perdus et dans la merde. Il me semble que ce film raconte largement autant les gens que les politiques.

Comment a-t-il vécu la présence de la caméra?

Un homme politique a besoin d’être aimé, d’être élu, et a besoin de laisser une trace. Un maire quant il est élu, il monte une médiathèque! Il m’a donné ce qu’il voulait que la caméra capte de lui, ce qu’il voulait que je capte de lui et que les gens voit. Et à partir du moment où il a voulu montrer des choses aux gens, des choses de lui, et bien il joue comme il le veut et mon boulot c’est de filmer ce mec comme il a envie de l’être. Les gens n’oublient jamais la caméra. Tu te composes le personnage que tu veux être. Il faut laisser leur chance aux gens de dire qui ils sont vraiment.

Mais par moments il dit quand même des choses énormes, tout en sachant que la caméra enregistre…

Oui. Parce que son électorat c’est tout à fait ça!

Tu ne parlerais donc pas de dérapages ?

Jamais, jamais ! Dans les rushes, combien de fois il dit «ça c’est off». Et pour moi quand c’est off, c’est off. Il dit des choses terribles, et parfois in. Je n’ai pas voulu les monter parce qu’il ne fallait pas non plus qu’il soit trop caricatural ce garçon. Il l’est assez comme ça.

Donc tu es resté cinq mois. Comment cela s’est passé au niveau des financements ?

Quatre mois et demi exactement. Je travaillais dans une boîte de production, IMA, donc pour la production c’était facile.

Est-ce qu’il est envisageable que le film passe un jour à la télévision ?

Oui, J-P. Elkabbach l’a annoncé en conférence de presse. Elkabbach himself !

Au départ, il paraît que tu voulais filmer Catoire et Schuller…

Ça c’est une connerie d’un journaliste ! C’est vrai que j’aurais voulu filmer Catoire plus mais lui ne voulait pas. Il y a même un moment où il ne voulait se laisser filmer qu’en extérieur, comme on le voit tout le temps dans les marchés.À un moment ça m’a tellement gonflé que j’ai posé la caméra. Moi je voulais faire un film sur, comment on prend une ville. Et j’ai vu comment on prend une ville mais aussi comment on la conserve. À un moment j’aurais bien voulu filmer ça. Puis comme il n’a pas voulu, je ne l’ai pas fait. Est ce que le film aurait été différent? Je ne sais pas. Sur le terrain, les socialistes sont toujours à la traîne de Schuller et à partir du moment où il n’y a pas d’autres réponses que des réponses complètement démagogiques… Il faut le dire. À mon avis si l’opposition avait réellement existé à Clichy, Schuller n’en serait certainement pas là. C’est la vérité.

Tu avais combien d’heures de rushes? Le travail de montage a finalement pris combien de temps ?

J’avais environ cent heures et le montage m’a pris trois mois. Pour moi, le travail de montage c’est du pain béni. J’ai monté toutes les scènes. On a commencé comme ça. Ensuite on a monté les séquences. Une séquence elle dit un truc, elle en dit pas deux. Quand tu vois une séquence, tu sais un peu ce que tu as envie qu’elle dise, pourquoi tu l’as filmé. Globalement, on a monté dans l’ordre du tournage. À partir du moment où tu veux faire dire quelque chose à quelqu’un (ou à une séquence) mais que la matière n’y est pas, c’est là que tu te prends la tête. Nous on s’est pris la tête pour que le film soit bien rythmé, drôle, efficace. Il n’y a qu’un plan que je regrette mais que l’on a enlevé en accord avec le monteur. Celui où Schuller se fait prendre en photo. C’est un plan qui me manque mais chaque fois qu’on essayait de le mettre, cela ne marchait pas. C’est le film qui décide, ce n’est plus toi. Un film ce n’est pas pour te faire plaisir, c’est pour ceux qui le voient. Mais si en plus tu te fais plaisir, alors c’est bien. En général tu te fais plaisir. Il y a du plaisir à donner et il y a quelque chose d’assez généreux dans le film.

Tu t’es confronté quand même à la réalité…

C’est ça le bonheur du documentaire. C’est le réel et dans le réel tu as beaucoup d’imprévu. C’est le bonheur du cinéma direct bien sûr.

Est ce que l’on peut dire que c’est un film qui réveille le sens citoyen?

C’est pas fait pour ça. C’est le constat d’une France malade. Schuller a les moyens de promettre puisqu’il est vierge.

Au niveau de la diffusion, le film est sorti dans une seule salle à Paris. A-t-il été diffusé en province, dans des villes comme Marseille, Toulouse ?

Non. D’abord le distributeur n’ a pas bien bossé et puis diffuser en vidéo ce n’est pas simple. La presse et surtout l’affaire Schuller, m’ont donné un coup de pub inouï. L’affaire Schuller a fait de moi un réalisateur connu et qui peut faire d’autres films plus facilement, c’est formidable. Mais je n’ai pas fait un film contre Schuller. J’ai fait le portrait d’un inconnu et d’une campagne locale. Je lui dois quelque chose à Schuller, la réussite du film. Si le film a des qualités et j’espère qu’il en a, elles étaient les mêmes avant que l’affaire Schuller n’éclate. Le film sort le 12 avril à l’Entrepôt, le 13 il y a un mandat d’arrêt international contre Christelle Delaval! Le coup de bol! Mais objectivement, le film existait avant. C’est à ça qu’il faut réfléchir.

Le public réagit devant le film. Il a l’air inquiet. Qu’en penses-tu ?

Le public qui vient voir mon film est un public bourgeois, un public d’intellectuel. On me reproche souvent de ne filmer que les pauvres. Mais eux ne viennent pas à L’Entrepôt(1). Ils vont voir Usual Suspect qui, entre parenthèse, est un bon film. Les gens qui sont dans une situation difficile est ce qu’ils ont envie de se voir? Hélas, non. Hélas, parce que peut-être ils pourraient réagir.

Est ce que tu as été parfois fasciné par le « personnage Schuller » ?

Ce type fait son boulot très bien. Il fait des bisous aux petites vieilles et promet des logements aux gens. Fascination non, mais «hurlage» de rire, oui. Je n’ai jamais été révulsé par Schuller car si je l’avais été, alors là j’aurais fait un film qui aurait dit : «tous pourris». Et je ne voulais pas faire un film poujadiste et antidémocratique. Par contre, je me suis posé la question du personnage de Christel Delaval qui est un personnage étonnant, édifiant. Elle est traitée en «personnage» et non pas en «politique». Je me suis posé la question : est-ce que tu traites un personnage politique comme un personnage de cinéma normal? Je n’ai pas de réponse. Est-ce que tu peux donner du plaisir à des gens en sachant que tu filmes d’affreux goujats? Fascination, ça voudrait dire que je ne me suis pas posé cette question là. Le vrai problème est celui du public auquel tu t’adresses. Objectivement ce film n’est pas malhonnête pour eux (NDR : la bande à Schuller). Je n’ai montré que la vérité, ma vérité à moi, ce qui m’a intéressé. C’était un choix de ne pas faire un film militant.

Propos recueillis par Arnaud Soulier et Éric Vidal

  1. Salle d’Art et d’Essai parisienne.

La Conquête de Clichy

« Mais, au XXe siècle, si tu ne t’es pas préoccupé des problèmes du monde, quel artiste es-tu ? » (1).

Faire un film documentaire est en soi un acte immédiatement politique, corollaire d’un engagement, d’une certaine foi de la part du réalisateur. À la manière de Raymond Depardon suivant Giscard dans 50,81 % (film malheureusement toujours censuré), Christophe Otzenberger explore un champ précieux.

Mars 1994, la ville et le canton de Clichy, cité historiquement socialiste, sont convoités par le RPR. Et c’est, le aujourd’hui trop célèbre, Didier Schuller, qui est chargé de mener la bataille…

Dans le cinéma direct, le réalisateur découvre la réalité en même temps qu’il la filme. Face à cette réalité brute, « non contrôlée », « il est absurde de dire que le cinéma direct puisse être objectif. On interprète par le regard, la position de la caméra, ce qu’on filme et ce que l’on ne filme pas » (2). La présence de la caméra elle-même crée une nouvelle situation, elle modifie les rapports.

Et pourtant ! Le film dépasse la « pire » idée de la politique. Il fait surgir des vérités « cachées », leurs donne une envergure, une authenticité de façon plus percutante que n’importe quelle fiction. Le film se confronte à la réalité. Les dérapages du couple Schuller-Delaval, caricatures grossières du monde politique, sont tels, que le spectateur ne peut en être qu’effrayé.

« J’ai regardé aussi ce que sont les idées devenues… » dit Christophe Otzenberger.

En ce sens, « La conquête de Clichy » est une violente remise en question pour l’homme et le citoyen ainsi qu’un formidable document sur l’exercice « local » de la « démocratie »…

 Anne Rogé

  1. Joris Ivens in cinéma du réel 1988
  2. Louis Malle in cinéma du réel 1988

Ya Basta ! (1)

« Nous voici, morts de toujours, qui, mourrons à nouveau, mais pour vivre, cette fois ».

Marcos

Voilà maintenant une année, sept mois et quatre jours que l’AZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale) a fait son entrée spectaculaire dans la ville de San Cristobal De La Casa au Chiapas (Mexique), marquant le début d’un vaste mouvement insurrectionnel. Composé aujourd’hui de dix mille hommes et femmes enfermés dans la forêt Lacandone, noyau géographique et spirituel du peuple indien chiapatèque, ils attendent depuis plus d’un an, des perspectives nouvelles à leur mouvement qui, le temps aidant, risque de se transformer soit en parc zoologique, soit en forteresse verte. Le référendum international, lancé par l’armée Zapatiste (voir Charlie Hebdo du 10 août dernier), révèle derrière cette « démocratie idéale » et cette vision universaliste des choses, une impasse certaine. L’autogestion, nerf de cette révolte, interroge et désoriente les grandes nations dirigeantes, le «gibier» ne réagissant pas comme à l’accoutumé. Qui sont ces hommes et ces femmes, propriétaires de leur fusils, que l’on consulte sur toutes les décisions politiques et militaires ? Derrière eux, ni nations, ni narco-trafiquants, ni organisations pseudo-religieuses. Encore moins de chef charismatique comme cherchent à nous en persuader les médias. La Forteresse blanche est si puissante qu’elle a su utiliser ses propres failles contre l’ennemi. Ce qui au départ le désorientait c’est à dire l’autonomie parfaite du mouvement, devient alors une arme redoutable qui se retourne contre lui. Le manque de soutiens techniques extérieurs engendre Une mort programmée. Il suffit alors d’isoler la cellule pour assister à son agonie dans une grande satisfaction. La stratégie du siège est redevenue aujourd’hui une arme bien plus efficace que la force de frappe nucléaire. Dans une configuration mondiale devenue monolithique depuis novembre 1989, la question se pose aujourd’hui de savoir s’il est encore possible de faire une révolution?

Arnaud Soulier

  1. Ça suffit!

Le parti et le moi

Que faire ou les élections législatives 1993 au sein d’une cellule communiste de Bagnolet, pose d’emblée le rapport affectif, identitaire, qui relie l’individu dans son adhésion au Parti : « Mon père déjà… les Brigades Internationales, les réunions chez ma mère, le drame de Charonne, sauvé d’une rafle pendant la guerre je dois ma vie au parti ».

Puis face à la première question, « Qui veut participer à la campagne ? », surgit immédiatement la dissociation individu/groupe. Si je souscris à la campagne nationale je refuse de m’investir dans la locale. Montrer l’autre du doigt pour parler de soi. Dans ce refus, cette opposition relative au Parti, c’est le désir d’être entendu comme individu qui se manifeste.

Cette problématique se déroule tout au long du « Fil rouge » qui interroge la place et la résonance accordées à la parole des militants de base. La grande majorité d’entre eux revendique une liberté -qualifiée cyniquement par la petite hiérarchie de « concept mou » – et un espace pour que des idées différentes trouvent à s’exprimer au sein du Parti. Pourtant, paradoxalement, ce sont souvent les mêmes qui refusent d’intégrer l’émergence des courants réformateurs. Les reconnaître reste dangereux, voire castrateur, en ce qu’ils occultent toujours l’expression individuelle. C’est l’impossibilité de se représenter soi-même comme une «tendance», alors même que l’on décide, caché derrière elle, de ne plus soutenir le candidat officiel. Mais aussi, impossibilité d’exister par soi-même au sein d’une structure terriblement verticale qui, finalement, écrase ses adhérents en refusant de leur donner  les possibilités de faire prospérer des idées, mêmes minoritaires. Comme le souligne un militant, « la démocratie ne se fait pas dans l’explication de texte, encore faut-il avoir les moyens de l’exercer ».

Donnant, donnant, sous l’emprise de l’organisation qui véhicule une part de mon identité, je préfère, dans le mal être, accepter de taire mon opinion contraire à la ligne officielle. Mon camarade enfonce le clou : « mieux vaut être bien dans sa peau hors du Parti » que mal dedans, à l’exclusion semble-t-il définitive, de pouvoir y être bien en y restant. Et  d’envisager ainsi que le courant réformateur pourrait être, justement, ce lieu où s’épanouit mon libre-arbitre.

Christophe Postic et Éric Vidal