Flash-back. Un objet filmique non identifié a éclairé lundi soir la nuit lussassienne. Stupéfaction. Des rires ont fusé, des ricanements, la salle s’est peu à peu vidée, et le mot fin s’est inscrit devant une poignée de spectateurs éberlués. Le fautif : un film de 1971, La Fin des Pyrénées, de Jean-Pierre Lajournade. En cette fin des États généraux, s’il reste quelques films dont on gardera le souvenir, celui-là, quoiqu’on en dise en fera certainement partie. Et il n’est pas trop tard pour se demander à quoi ressemblait cet étrange objet, amalgame de Selznick et de Mocky, fureur hollywoodienne et blague anarchiste conjuguées plus souvent pour le pire que pour le meilleur. Jean-Pierre Lajournade, dont c’est le dernier film, transgresse allégrement tous les interdits du bon goût, du cinéma conformiste et confortable, en un mot du cinéma bourgeois (c’est à prendre au premier degré). L’utilisation romantique de l’écran large et des grands espaces est constamment désamorcée par une féroce potacherie soixante-huitarde : les personnages s’adressent à la caméra pour hurler des slogans manichéens démodés, et leur révolte prend les allures d’un abracadabrant programme de clichés (famille, police, travail, syndicats, société, tous pourris !). Les fondements même de la fiction occidentale – entendez là dégénérée – sont malmenés. Le père de Thomas se suicide, Thomas est accusé, et vlan ! bonjour Œdipe, d’autant que la langoureuse maman en pince sérieusement pour son fiston. Mais Œdipe c’est trop peu : le calvaire de Thomas est aussi christique ! (la grotte dans laquelle il se réfugie avec sa belle rappelle fortement celle de la nativité). C’est assurément n’importe quoi, et pourtant…
La Fin des Pyrénées est un mélo enflammé qui a pris note de la fin du genre, et toutes ces provocations ne sont qu’une façon d’exhiber le faux, la monstruosité d’un genre masochiste par excellence, réactionnaire par tradition et malgré tout cher au cœur des poètes. Lajournade dénonce la théâtralité de son dispositif, mais cette grandiose rébellion est celle-là même de son héros. La beauté du film tient à cette déchirure sublime : on ne peut plus croire à la fiction (cinématographique et sociale), mais pour le dire, il faut malgré tout raconter une histoire (une fiction). On oscille sans cesse sur la frontière intenable du rituel (le dispositif indépassable de la mise en scène) et du profane (les saillies grotesques). C’est parfois ridicule et donc totalement sublime. Le film a la naïveté brusque des fous et des enfants, des rebelles insoumis aux lois de la raison. C’est un film « adolescent », au plus beau sens du terme : inégal, emporté, traversé de bouffées lyriques et stupides, mais bouleversant de bout en bout. Lundi soir, le ciel de Lussas était plein d’étoiles…
Gaël Lépingle