« Ce qui intéresse, l’homme, c’est l’homme… »
Pascal (souvent cité par Jean Renoir)
Passionnante expérience que retrace le film d’Alain Dufau, Le pacte fragile. Titre obscur, au premier abord, qui nous révèle au fil des images tout son sens. Il s’agit ici de faire appréhender au spectateur la nature d’une relation humaine spécifique : l’accord tacite entre le photographe et le photographié, de même nature que celui qui peut lier le documentariste à son sujet. Le film dévoile la fragilité de ce contrat secret. Photographe de l’agence Rapho, Jacques Winderberger s’est livré à un riche travail de description/interprétation du « monde comme il va », fixant sur la pellicule des situations sociales difficiles. Population immigrée de banlieue (Sarcelles), habitants de bidonvilles, de cabanons (Niolon près de Marseille), nettoyeurs de supertankers, etc., autant de coups de cœur, de coups de gueule stigmatisés par le noir et blanc. Le film, histoire d’amitié entre le réalisateur et le photographe, portée par le tutoiement de la voix off, montre les réactions et les commentaires de ces personnes confrontées à leur image, leur passé, leur vécu. Ce feed-back tant désiré a diverses saveurs : joie de se revoir, analyse esthétique personnelle, nostalgie du passé, honte d’une condition, voire sentiment d’être insulté. Et l’on constate là, la fragilité du pacte tacite originel. Diverses subjectivités émergent. Pour Jacques Winderberger, les clichés, outre leur qualité plastique, participent à l’évolution de la société. Ils se veulent manifeste humaniste, délivrent un message politique, dénoncent des situations instables. Mais le feed-back des gens, ceux-là mêmes qui se sont donnés à l’objectif… Il existe. Jacques Winderberger a recherché la rencontre, provoqué la confrontation. La réaction qu’il déclenche ainsi peut épouser voire s’opposer à l’intention qui a présidé à la naissance de ses clichés. Ce qu’il accepte en toute humilité. Les instants de vies que le photographe a su capter sont retrouvés par leurs « propriétaires ». De fait, la sensation de vol qu’éprouve « l’objet photographié » s’estompe. Après son utilisation, vient la restitution. Ce que pointe avec sensibilité le documentaire.
Un mot pour qualifier la démarche filmique d’Alain Dufau : la justesse. Dans la notation des gestes, des regards. Comme le photographe, il nous donne à voir – quelle que soit la situation (interviews, discussions, débats) – des images attentives, respectueusement captées. La bande son, généreux prisme d’ambiances, donne une existence charnelle et palpable aux photographies. Saisis sur le vif, les corps, les visages et les lieux se mettent à vivre. Alain Dufau se tient au plus près de ceux qu’il filme, à échelle humaine. Il évite ainsi les écueils « entomologiques » comme la sécheresse d’un certain cinéma ethnographique. Dans le travail du cinéaste se tient un humanisme critique mais bienveillant qui fait résonance avec l’œuvre du photographe. Au final, le film provoque en nous le plaisir intérieur que l’on ressent au spectacle d’une rencontre que l’on espérait, mais que l’on n’attendait plus : celle de l’intelligence et de l’émotion conjuguées à une belle maîtrise des moyens techniques. Et cela, en à peine trente quatre minutes… où la vie transpire…
Jean-Jacques N’diaye