Jacques Demy n’a pas fait qu’un document sur le métier de sabotier. Il s’appuie sur cet artisan pour montrer la vie qui passe, le temps qui se déroule et la mort qui, lentement, s’installe.
Il filme un homme dans son cadre habituel, en train de se construire une vie simple qu’il nous amène à partager. Il réduit ce quotidien – qui est aussi celui de ses amis – à sa plus simple expression, ne laissant aucune place au dialogue.
La parole supprimée, l’environnement sonore occupe pleinement l’espace de la représentation. Une voix off se charge d’ancrer les personnages dans le passé, comme s’ils n’existaient déjà plus. À travers un éternel recommencement c’est vers la mort que cet homme se dirige. Une mort physique certes, mais qui implique la disparition d’un métier, d’une tradition, que l’on peut lire dans le regard de son fils adoptif. Un regard qui annonce que le monde change et évolue. Dans un parallèle osé, Jacques Demy établit des correspondances entre une vieille brouette en ruine et la femme du sabotier. Elle aussi vieillit, mais contrairement aux objets quotidiens, elle est irremplaçable.
L’absence de force narrative véritable de la musique, annonce, précède ou prolonge la voix off. Elle renforce la grisaille ambiante dont sont enveloppées les images et accentue la monotonie de leur vie sans surprise. La caméra peut alors s’éloigner du sabotier, quittant le monde des morts dans lequel il vient de basculer.
Bruno Dufour