Interview de Caroline Buffard à propos de La Demande d’asile
Dans son dernier documentaire, Caroline Buffard filme la manière dont une jeune réfugiée soudanaise élabore le récit de son exil avec l’aide d’un travailleur social.
Au cours de cette Demande d’asile, la réalisatrice choisit de ne jamais montrer le visage de la jeune femme. Entretien pour comprendre les raisons d’une telle ellipse.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée au parcours d’une demandeuse d’asile ?
J’étais journaliste de télévision à Lyon et j’avais suivi l’affaire des Roms de Roumanie, qui avait été prise en charge par Olivier Brèachet, directeur de l’association Forum Réfugiés. J’ai alors découvert ce que pouvait être le monde des demandeurs d’asile. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à montrer, à dénoncer. On parlait du droit d’asile politique et des sans-papiers, tout ça était dans le même sac et personne ne comprenait vraiment la différence. J’ai donc visité, avec Olivier Brachet, un lieu situé quai Perrache, près de l’Autoroute du soleil à Lyon, où sont accueillis les demandeurs d’asile qui débarquent. C’est un vieux restaurant désaffecté qui sent extrêmement mauvais et qui ne ressemble à rien. Là, on les reçoit tant bien que mal et on enregistre leur demande. On essaie de les prévenir sur la difficulté du parcours qui les attend, dans une langue un peu bizarre parce qu’il y a rarement l’argent pour payer les interprètes. I me semblait intéressant de rester dans ce lieu où s’exprimaient aussi bien la violence de leur histoire, que celle à laquelle ils allaient être confrontés. Ces gens, qui pour la plupart ont quitté leur pays pour des raisons extrêmement douloureuses, pensent arriver dans le pays des Droits de l’homme. Or ce lieu sombre est très symbolique. Il représente la politique de la France concernant les demandeurs d’asile, et les moyens que les pouvoirs publics se donnent pour les accueillir.
Dans quelle structure les demandeurs d’asile sont-ils accueillis ?
Forum Réfugiés est une association qui fonctionne avec des bénévoles, mais ceux qui écoutent sont des travailleurs sociaux. À l’origine, c’est une association militante qui s’est battue pour la défense du droit d’asile et l’accueil des réfugiés.
Au fur et à mesure, elle a réussi à obtenir des fonds publics français et européens. C’est donc aussi le bras armé de l’État. Il m’a aussi semblé intéressant de regarder dans quelles conditions les travailleurs sociaux interviennent, parce que ce sont des gens généreux, portés par leurs convictions personnelles et en même temps ce sont eux qui annoncent les mauvaises nouvelles.
Quelles ont été les contraintes imposées par vos différents interlocuteurs ?
Nous avons fait deux films. Un pour Arte, celui que vous allez voir, et un autre qui a été tourné dans le même lieu mais avec d’autres demandeurs sur une période plus longue. Au début, ce qui m’intéressait, c’était le parcours d’un demandeur d’asile jusqu’aux portes de l’Office français pour les réfugiés et apatrides (Ofpra), l’instance qui accorde ou refuse les statuts. Je voulais voir ce qu’on leur disait auparavant et ce qui, au sein de l’association, allait se refléter des difficultés de la procédure. L’Ofpra a été d’accord pour que l’on filme les entretiens à condition de ne pas filmer les gens : les demandeurs d’asile politique sont susceptibles d’être recherchés en-dehors de leur pays et, de ce fait, sont peut-être en danger de mort. Il faut donc respecter un certain anonymat. Du coup, mon problème de mise en scène était réglé. Je trouvais qu’il était infiniment plus juste de filmer le regard du travailleur social plutôt que celui du demandeur d’asile. En regardant quelqu’un qui souffre, on prend le risque de le victimiser, on s’apitoie, on est dans la compassion. J’ai voulu rendre la violence que je ressentais dans cette histoire. Une juxtaposition de violence, aussi bien celle que les demandeurs d’asile trimballaient derrière eux que celle à venir. Et, derrière le demandeur d’asile, filmer une personne censée apporter des réponses qui ne viennent pas toujours ou qui sont dures, me semblait plus pertinent.
Après, le problème est de trouver la personne suffisamment juste dans ses propos pour rendre ce que je voulais montrer. C’était la difficulté du film, je ne voulais pas être trop explicative. Emmanuelle (la personne qui recueille les témoignages dans le film) est d’une honnêteté implacable : elle ne cache rien au demandeur d’asile, ce qui est rare. C’est une sacrée violence de dire à quelqu’un que son histoire ne rentre pas dans le cadre de la convention de Genève. Elle assumait cette violence et je trouvais ça admirable. C’est important car, pour le demandeur d’asile, il s’agit de trouver tous les arguments pour « séduire » et obtenir l’autorisation de rester en France. On demande à ces personnes de se souvenir précisément de tout ce qui leur est arrivé. Leur récit doit être extrêmement détaillé. Et c’est là-dessus qu’on va les juger puisqu’il n’y a pas de « preuves » Emmanuelle a accepté d’être mon alliée. Ce n’est pas simple d’être filmée comme elle l’a été, de voir son travail passé au crible.
J’ai aussi très vite compris que la situation d’Anna, la jeune réfugiée, ainsi que son histoire très éprouvante, permettraient de révéler des dysfonctionnements que je voulais saisir. Il faut imaginer dans quelle situation sont les réfugiés. Dans la mesure où ils vous acceptent avec votre caméra, ils vous oublient instantanément, parce qu’il y a beaucoup d’autres problèmes plus urgents à régler. Et la discrétion était vraiment notre maître mot. Par contre, on a renforcé le côté interrogatoire pour le spectateur, même si on est plus avec le travailleur social. C’est le travail du cinéma : on est avec celui dont on regarde le visage. Moi, je me projetais plus dans le visage d’Emmanuelle que dans la détresse du demandeur d’asile.
Propos recueillis par Christelle Méaglia, Christophe Postic et Eric Vidal avec l’aide de Benjamin Bibas.