Le générique a beau nous en dissuader, on n’est pas certain, a priori, de ne pas être en face d’un document de travail, comme on en présente aux étudiants en psychologie ou à des praticiens. À savoir, l’enregistrement d’un entretien thérapeutique dans un but didactique : établir un diagnostic puis un pronostic, évaluer le travail. Un film d’observation en somme, où l’on pose la caméra seule dans un coin de la pièce. Celui-ci porterait donc sur des séances de psychodrame, en présence non seulement de toute une équipe de soignants et d’une caméra, mais avec derrière elle, exceptionnellement, une personne pour tenter de cadrer. La dimension pour une part formative de ce psychodrame a vraisemblablement autorisé, facilité ou entraîné la possibilité d’enregistrer – et bien d’enregistrer car on se rend compte rapidement que la tentative de filmer restera vaine.
Le film commence par une fin et le titre le revendique. Mina, une jeune patiente qui suit un psychodrame ne veut plus jouer. La scène de psychodrame, où l’enjeu est de mettre en scène une problématique en y jouant son rôle ou celui d’un autre, cette scène s’accomplit dès le début et ne se reproduira plus. La justesse de l’interprétation de Mina dans le rôle du psychologue marquera le reste du film comme l’annonce de la ténacité attentive et professionnelle de celui-ci. En face, la personne qui l’incarne elle, fournit tous les arguments à son « fichez-moi la paix », du bon grain à moudre pour sa défense.
Tout est dit, du moins, tout ce qui s’est joué nous est montré, d’emblée. Et pourtant l’enjeu du film demeure. Il va fonctionner sur le mode du flash-back, ou plutôt du feed-back, soumis à une chronologie bien ordonnée du déroulement des séances. L’attente qui se crée est pour le film comme pour le psychodrame une nouvelle effraction du réel. Un ressort dramatique pour les deux. Rejouer une scène, mettre en scène, changer de rôle, pour essayer d’en comprendre autre chose, démasquer le réel. Tel est l’objet du psychodrame, du cinéma aussi peut-être. Mais ici le réel reprend ses droits, l’espace qu’il occupe dans ce dispositif thérapeutique phagocyte entièrement le film. Dès lors il n’y a plus de film, il se dissout dans le travail à l’œuvre, celui de la relation thérapeutique – le transfert est semble-t-il bien établi à ce qu’il s’en dit –, celui du thérapeute, celui de Mina, camouflée derrière sa résistance. Dans l’incitation à jouer d’autres scènes, dans cette tentative de renouer d’autres émotions, on perçoit les mouvements, les tensions qui s’opèrent alors que la caméra, elle, ne peut que se déplacer sur son axe. Elle balaie le cercle autour de Mina en rasant ses pieds, s’arrêtant au seuil de son corps. Le reste du temps nous offre des gros plans du thérapeute et des allers-retours rapides sur le reste du groupe. Le sujet du film, c’est bien sûr le hors champ, Mina, inaccessible, et aussi son contre-champ, l’équipe, celui qu’il reste à saisir à l’image. En quête de réel, celui qui surgit par instants, au début, puis de façon plus éparse. Le contre-champ, ces regards très concentrés, très attentifs, qui reflètent une densité très forte de l’échange, et aussi du film qui condense cinq séances en quelques dizaines de minutes, c’est ce qu’il reste au film. Et ce qu’il reste du film c’est la fragilité de ces mouvements : ceux de Mina, ses oscillations autour de la question du partage et du plaisir, cette « impression de voir la vie et de ne pas être dedans », sa demande de relation duelle – c’est vrai qu’il y a beaucoup de monde autour d’elle. C’est par instants cocasse mais jamais dérisoire. Quant au regard de Mina, cela reste son affaire, celle de son interprétation à elle.
On se sent bien face à l’écran, car on voit bien que derrière la caméra on ne se sent pas très bien, alors tout cela nous convient bien. Mina est réellement un beau film.
Christophe Postic