De l’acte cinématographique au passage a l’acte

Jospin s’éclaire…

C’est un film sur le personnage (de) Lionel Jospin, côté coulisse de la campagne présidentielle. Un sujet qui séduit a priori le spectateur : quelque chose nous est toujours caché, de l’ordre peut-être du secret voire du sacré, en tout cas inaccessible. Le tout renforcé par la censure qui accompagne parfois les films « engagés ». Pour nous surprendre et dépasser cette simple curiosité, le film doit faire sens, le cinéma doit prendre forme. Si le film Jospin s’éclaire… répond en partie à cette curiosité, celle-ci s’estompe rapidement car, entre autre, le cinéma ne surgit pas. On constate que la politique et ses campagnes électorales sont subordonnées à l’importance des médias, particulièrement audiovisuels. Quelqu’un l’ignore t-il encore? Au pire, cela entretient l’idée que la politique n’est vraiment plus que ça : un spectacle, écartant toute idées de franchise chez les hommes et femmes dont c’est le métier. On en préfèrerait presque, l’incursion des Guignols de l’Info dans les pensées supposées de Jospin et Chirac au cours du débat télévisé qui les a réunit. Pensées qui nous ramène à l’idée qu’ils ne sont que des hommes, et que dans une situation similaire nous aurions eu un comportement identique.

On pense ensuite au public de proximité : acquis ou affectivement proche de la situation observée, à défaut d’être filmée. En l’occurrence, ce film intéresse et satisfait sûrement ceux qui ont fait campagne aux côtés de Jospin. Et qui, peut être, «témoigne d’une prise de pouvoir de la machine politique sur la machine cinématographique».

La Conquête de Clichy

La forme n’est ici pas si différente que précédemment. Mais le film et son personnage très «consistant» pousse plus loin la réflexion, notamment sur le cinéma. La connivence qui se noue entre les personnages et la machine cinématographique est pointée par J-L. Comolli. Celui-ci poursuit sur l’extrême difficulté de rendre antipathique un personnage «cinégénique», un personnage à la présence forte, qui existe et qui en ce sens répond au désir supposé du réalisateur, d’un réalisateur. Si cette connivence contamine le public, on touche alors à une des limites du cinéma, dans son incapacité à résoudre l’ambiguïté, si ambiguïté il y a.

En effet de surprises, de découvertes, il y en a finalement peu pour celui qui sait observer et n’attend pas le cinéma pour le faire. On est dans ce film au cœur de la relation d’un candidat à ses électeurs potentiels, d’un commerçant à ses clients. On y rencontre des individus dont sans surprise, nous constatons que ce qui les touche de près, les aide, les soulage (un emploi, un logement), les rassure (la sécurité), etc., les rapproche d’un candidat plutôt que d’un autre. Y compris toute les convenances, réflexes les plus primaires, les a priori les plus mesquins.

De connivence on peut aussi ne pas du tout en ressentir, écrasé par cette réalité affligeante re-dévoilée. Le sentiment du spectateur, qu’à la place du cinéaste, à ce moment nous aurions interrompu le film, ou quitté la salle. Le miroir que tend ce film aux électeurs de Schuller leur renvoie une image cohérente qui leur convient. C. Otzenberger confirme par ailleurs cette idée : «Schuller m’a donné ce qui semblait être bon pour son électeur, pour lui : le personnage qui doit rentrer dans l’histoire». C.Q.F.D. Et de ce point de vue, sans conteste, le film ne manque pas sa cible : montrer ce qu’est une campagne politique. Que la cible ne soit pas la bonne peut s’envisager, au moins pour le spectateur.

La Campagne de provence (extrait)

Le cinéma au secours de la connivence.

M. Samson désigne les stratégies pour déjouer cette connivence – indispensable pour filmer Mégret pendant neuf mois – : la musique, son corps d’interviewer qui réagit dans le cadre, les mots à l’image, et la transmission de la violence des propos par la suppression du contre champ par exemple. C’est la force de ce film d’y réussir brillamment, avec quelques excès il est vrai. De plus, tout ceci est explicite dans le film et permet au spectateur de choisir «sa distance» de lecture, ou éventuellement celle de son refus.

Comme le souligne justement Christophe Gallaz (un des intervenants), s’agit-il pour l’auteur, devant sa crainte de ne pas exister dans son film ou de ne pas exister correctement, de se définir soi plutôt que de vouloir terrasser la cible. Et se demander si cela apporte quelque chose, et pas seulement de donner bonne conscience au Front National, pose la question incontournable de savoir à quoi servent les films politiques.

La distance « idéale » est bien souvent approchée par Marcel Ophuls, vraisemblablement au moment précis où il n’a pas interrompu le film. Nous n’avons pas quittés la salle parce qu’enfin : « je ne peux pas laisser dire ou laisser faire ». Dès lors pour le spectateur la suite peut prendre forme en actes, au quotidien…

Christophe Postic