Filigrane

Il y a parfois des dérapages, comme des points de détails, qui donnent envie de vomir. Et puis d’autres, qui l’air de rien et contre l’air du temps, redonnent espoir dans le genre humain. Comme par exemple le discours d’un maire. Celui de Lussas, en l’occurrence, ouvrant la onzième édition des États généraux du Film Documentaire. Entre formules de circonstances et remerciements, pas grand chose à se mettre sous la dent. Alors on attend le buffet. Le silence, poli au début, fait petit à petit place à un brouhaha de plus en plus dissipé. L’impatience se devine, on commence à rester sur sa faim. Et puis, brusquement, des mots qui sonnent différemment : « Pour finir, j’aimerais pousser un coup de gueule ! ». Des mots dits sans énervement, juste d’une voix tremblotante qui trahit l’émotion. Des mots du cœur, qui forcent à l’écoute. L’histoire d’un arboriculteur, petit producteur ardéchois qui ne comprend plus sa place dans une société qui laisse des gens crever de faim. Le cri d’un homme pour qui « les fruits sont faits pour être mangés ». Et pas seulement par le serpent monétaire. Du sous-commandant Marcos dans le texte !

Par ce « juste geste », le maire nous rappelle ce que doit aussi être une certaine démarche documentaire. Celle d’atteindre à l’universalité au travers de l’histoire particulière. Celle de se positionner pour entrer en résistance. Et pas seulement sous le poids de l’événement. Il y a trois ans, les caméras se tournaient vers les « sans-papiers » de l’église Saint-Bernard. Aujourd’hui, les « sans-papiers » continuent à tourner. Sans caméra.

Francis Laborie et Arnaud Soulier