L’Algérie a, dès le début de son indépendance et jusque dans les années quatre-vingt souvent été prise pour modèle par nombre de pays du tiers-monde et dans nombre de discours d’hommes de gauche, de France et d’ailleurs. Un modèle pour sa guerre de libération d’abord, un modèle économique avec les choix qu’il induisait (nationalisation des hydrocarbures, collectivisation des terres agricoles, industrialisation…), un modèle politique qui impliquait le socialisme, le non-alignement… Finalement, le modèle d’un pays à la liberté nouvelle et à l’avenir plein de promesses. Mais ceci, en définitive, ne permettait aucune critique ou les occultait, dispensant en outre le pays de toute autocritique. Or Troeller et Deffarge prennent le contrepoint de cette idée, celle d’une Algérie exemplaire et développent un point de vue qui remet en question la pensée même d’une Algérie indépendante. Ils montrent comment la persistance de ses liens avec les pays occidentaux continue de la maintenir dans le cercle infernal d’un système économique où il y aurait d’un côté les pays dominants qui décident, imposent et qui seraient les seuls à en profiter, et de l’autre, les pays dominés qui subissent, exécutent, restant toujours « au service de… ». En 1975, le film se situe à contre-courant de cette modélisation idéalisée, et c’est là tout son intérêt. Les réalisateurs expriment déjà la mondialisation d’un système économique qui se fait au détriment des pays du sud. Mais montrent-ils ? Car la question du film en tant que telle reste posée et l’on se demande parfois quelle est la place impartie aux images. Elles sont souvent noyées, englouties, étouffées par un commentaire surabondant qui ne leur laisse quasiment aucune existence. Il y a pourtant des séquences parfois tellement plus éloquentes que n’importe quel commentaire. Ainsi celle sur la construction de la cimenterie de Mefta où l’on entend des techniciens algériens parler allemand. Sans oser imaginer des allemands parlant l’arabe, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils communiquent par l’intermédiaire d’une langue plus commune, en l’occurrence le français ou l’anglais. (Il n’est pas besoin de rappeler qu’il ne s’agissait pas là d’une action humanitaire mais bien d’un contrat, payé au prix fort, entre l’Algérie et différents pays occidentaux). Or pour entendre ce qui à nos yeux (et à nos oreilles) est porteur de sens, il nous faudrait nous abstraire du commentaire. Par ailleurs, et paradoxalement aux propos tenus par les réalisateurs, la parole des algériens n’émerge qu’à de très rares et brefs moments, au delà de la compréhension de l’arabe. Mais ce ne sont là que les limites d’un film militant qui donne la primauté à l’analyse, au discours des réalisateurs dont il ne faut pas oublier l’étonnant parcours et l’incroyable capacité à s’être trouvés partout dans le monde aux côtés de tous les « sans-voix » se battant pour un peu plus de dignité, un peu plus de liberté. Ce film a d’autant plus le mérite d’exister que, jusqu’à présent, rares sont les documentaires sur l’Algérie (mémoire interdite ?). On s’interroge d’ailleurs sur les conditions dans lesquelles il a pu être réalisé, quelles contraintes, quelles diffusions…
Pour en revenir au commentaire, si les réalisateurs confondent parfois le système économique capitaliste – qu’ils condamnent – avec la notion de progrès, l’articulation de ces deux notions resterait à définir. À plus forte raison lorsque l’unicité du modèle économique menace la diversité des modèles culturels.
Sabrina Malek