Nous avons rencontré Catherine Marnas, metteur en scène de théâtre, de retour de la rencontre internationale au Chiapas et lui avons demandé son point de vue sur le mouvement zapatiste.
« Croire au monde, c’est ce qui manque le plus ; nous avons tout à fait perdu le monde, on nous en a dépossédé. Croire au monde, c’est aussi bien susciter des événements même petits qui échappent au contrôle, ou faire naître de nouveaux espaces-temps, même de surface ou de volume réduits. » Gilles Deleuze.
Pour reprendre chronologiquement, j’ai suivi les événements du Chiapas depuis le premier janvier 1994, date de la signature du traité de libre échange, l’Alena, avec les États-Unis. En référence avec Zapata, c’était un peu symbolique pour le mouvement de dire que les Indiens étaient les grands oubliés de l’histoire. Or la grande idée de Marcos est justement de dire que la révolution de Zapata n’est jamais arrivée dans le Chiapas. J’étais au Mexique où j’ai monté Roberto Zucco de Koltès et il se trouve que dans la distribution il y avait un certain nombre d’acteurs qui faisaient partie de la « société civile » soutenant le Chiapas. Je me désespérais un peu de l’écho – ou du non écho – que les paroles de Marcos avaient en France. Au mieux on se servait de sa figure, ce qui est plutôt le côté anecdotique, le côté culte de la personnalité. Mais ses communiqués qui sont magnifiques, on en avait très peu d’échos. Mon moyen d’expression étant le théâtre, j’ai décidé de monter un projet autour des écrits de Marcos et de quelques textes de Che Guevarra. Tous deux avaient comme modèle dérisoire Don Quichotte et je voulais faire le lien à travers cette figure. Je suis donc allée à la première Rencontre Intercontinentale contre le néo-libéralisme et pour l’humanité qui se tenait dans le Chiapas, fin juillet pendant huit jours. Par rapport au mouvement, les films présentés à Lussas datent un peu, surtout sur la chronologie. Mis à part des cassettes de propagande sur le mouvement qui circulent clandestinement au Mexique, Juan Carlos Rulfo s’étonnait qu’il n’y ait pas eu plus de cinéastes qui prennent le relais. Marcos a aussi focalisé l’intérêt de la fiction. Mais je me demande quelle serait la place pour des films autres que sur un personnage, ô combien charismatique, ou des œuvres de diffusion qui feraient connaître le mouvement. Ce qui est incroyable à Lussas, c’est l’écho inouï que suscite cette « Rencontre Internationale ». Ça me conforte dans l’idée qu’il faut absolument transmettre cette parole utopique qui réveille chez les jeunes, n’ayant pas l’occasion de l’entendre à travers les médias, un espoir fantastique.
Oui mais c’est un espoir qui est toujours ailleurs…
Non, pas toujours. Marcos, dans un de ces textes, dit : « je suis gay à San Fransisco, femme dans une assemblée de machos… ». C’est une pensée résolument post-marxiste tenant compte de tout ce qui s’est passé mais qui en appelle à l’union internationale contre le néo-libéralisme. C’était aussi un petit peu l’idée du « Che ». L’idée de Marcos n’est pas que les gens viennent pour défendre les indiens, ils sont assez grands pour le faire eux-mêmes, mais de mettre en place un réseau international pour qu’ils arrêtent de lutter dans leur coin ou même de ne plus lutter. Certains lui ont reproché d’être sur Internet mais sans cela, il n’y n’aurait peut-être pas eu une diffusion aussi rapide.
Quelles réflexions ou quelles critiques vous inspirent ces huit jours passés là-bas ?
J’ai été très critique mais ça ne change rien à ce que j’ai dit sur les paroles de Marcos. La déception vient que dans l’organisation je ne les ai pas retrouvées. Je sais que c’est une organisation militaire mais pour moi il y a des choses qui nous ont été imposées et qui n’étaient pas nécessaires. Pour être très claire, ma critique s’adresse plutôt à la réponse apportée par certains participants que finalement à l’organisation elle même. Il y avait là une sorte d’expiation petite-bourgeoise à la Mao avec laquelle je ne suis absolument pas d’accord parce que justement la parole de Marcos est complètement novatrice par rapport à ça. C’est à dire : on ne va pas refaire l’histoire ni recommencer les erreurs antérieures. Donc si on veut avoir une chance que ce mouvement aboutisse, j’ai pas du tout envie que ça se passe comme cela. Pour citer l’exemple de la séparation des participants, les femmes à gauche, les hommes à droite, au moins qu’on m’explique pourquoi. Là quelqu’un a pris la parole avec toute la mauvaise conscience néo-colonialiste pour dire qu’il faut respecter les traditions indigènes. Or les traditions indigènes je les connais, ce ne sont pas celles là. C’est une tradition guerrière, militaire mais non indigène. Où encore l’obséquiosité vis à vis des « passe-montagnes ». Pour moi ce n’est pas un dialogue d’égalité.
Malgré tout, la leçon optimiste, j’espère, c’est que ça attire des gens nouveaux, qui ont des craintes par rapport à ce que je viens de dire
Pour en revenir aux images, est-ce qu’il y a eu une réflexion sur la médiatisation de Marcos ?
C’était très drôle car il y avait tout un discours sur les dangers de l’image mais en contradiction, il y avait une forêt de caméras. Là encore, ça ne correspond pas à la position de Marcos.
Est-ce qu’il y avait des zapatistes qui filmaient ?
Je n’en ai pas vu. Mais par contre ils utilisent les volontés de ceux qui les soutiennent pour dire ce qu’ils ont à dire et pour suggérer éventuellement des choses. Par exemple ils refusent des interviews à Télévisa, qui a le quasi-monopole sur les chaînes de télévision. C’est un secret pour personne qu’ils sont très proches du gouvernement. Télévisa a rendu compte des événements du Chiapas de manière absolument éhontée et c’est à la suite de ça qu’il y a eu une mobilisation énorme des gens. Ils sont descendus dans la rue. Pour la première fois ils se rendaient compte que Télévisa n’était pas une télévision objective. Par contre, la presse écrite mexicaine était très représentée.
Propos recueillis par Sabrina Malek, Christophe Postic et Éric Vidal