Les murs démaquillés

Un couloir, des corps féminins le traversent. Des cris, des rires et les échos d’une mélodie téléphonique se répercutent dans l’espace. Prison pour femmes à Venise. Paola, Claudine ou Angela en sont les locataires, détenues ou matonnes, elles partagent ces lieux. Des couloirs aux escaliers en passant par la cour, les femmes se mélangent, échangent, essayent de trouver leur place. Le temps semble s’étirer encore et encore, mais Paola l’a dit : « Un jour ou l’autre on sortira, personne ne naît en prison. » Au travers d’un regard de femme sur des femmes, Penelope Bortolluzzi évite les écueils d’un énième film sur la prison. Loin des clichés, s’attardant sur la vie plus que sur la mort, la réalisatrice entrelace les joies et les peines des habitantes de cette prison singulière, dont le fonctionnement ne correspond pas à l’image que l’on s’en fait a priori.

Des portes, des barreaux et des murs… La prison n’est pas seulement un espace clos. Ici pas de pénombre ou d’humidité, la lumière traverse les barrières, s’accroche aux peintures et réchauffe le corps et le cœur des détenues. Tandis que le vent, dans la cour intérieure, fait danser les draps sous les cordes à linge, les prisonnières lézardent, dansent, jouent, habitent de leur parole et de leurs rires l’espace et le temps de la prison. Au sein de cette prison, l’échange est le vecteur de la vie, ce besoin vital de partager, d’exister en tant qu’individu. Alors on parle : de coiffure, de maquillage, de vêtement ou des autres. Ces conversations ont la beauté du futile, touchent à la féminité, rapprochent les corps et exhalent les sentiments.

Mais ces échanges ne sont que le leurre, le voile qui recouvre les blessures infligées par les réalités carcérales. Visage caché, une détenue nous dit la prison, sa prison : « Ici, sans intimité, on devient des bêtes, le temps ne passe pas, tout est inutile, je ne dors pas la nuit ». La claustration, convoquée par bribes, morcelle les apparences du rire. En contre-jour, une silhouette, avec une matraque qui glisse sur les barreaux et produit des sons agressifs, claquements insupportables de l’incarcération. Cette matraque n’est pas celle d’un individu mais celle d’un système.

Les murs, les barreaux sont franchissables. Le vent, la lumière ou les oiseaux qui emplissent les couloirs en sont les témoins. Mais les barrières de l’intime sont bien plus lourdes. Assise sur un banc, une détenue questionne la « chef matonne », la supplie de raconter ses vacances, de lui parler de sa vie, celle du dehors. La supérieure ne dira rien. Prisonnières ou matonnes, il est essentiel pour toutes de recréer un nouveau monde au coeur d’une promiscuité quotidienne et dérangeante, pour continuer à exister en tant que « soi », pour ne pas disparaître, se préserver. La cinéaste met en scène délicatement cet impératif vital. Jamais nous ne rentrerons dans leurs cellules pour respecter cette part d’intime déjà si fragile.

Peu à peu le film évolue, les enfants prennent place dans le cadre et s’ajoutent à la confusion des hiérarchies. Ils sont une échappatoire pour certaines, un poids pour d’autres. La violence de la prison est là, dans les pleurs d’un enfant qui refuse d’entrer dans la cellule de sa mère. Ses cris résonnent dans les couloirs et cristallisent le traumatisme implacable des lieux.

En explorant la réalité et les douleurs de ces femmes, Pénélope Bortolluzzi ouvre un instant la porte d’un monde singulier où l’omniprésence du dehors n’existe que par son absence.

Nicolas Vital