C’est un film impressionnant. Impressionnant parce que Peter Chapell réussit, entreprise ardue, à filmer une institution internationale – la Banque mondiale – au travail, tout en nous passionnant de bout en bout par son documentaire.
Pénétrer dans les coulisses où se joue le pouvoir est une expérience rare et instructive. Elle permet de mieux en comprendre le fonctionnement. Elle dévoile surtout toutes les stratégies mises en place pour imposer des choix économiques à la portée politique évidente.
Pendant près de deux ans, le réalisateur a suivi l’action menée par la Banque mondiale en Ouganda, considéré comme l’un de ses « bons élèves » africains. Et l’on découvre que l’institution a changé de credo. « La Banque exige une dose de social » apprend son vice-président au ministre des finances ougandais dès le début du film. Ainsi, aux priorités données par le gouvernement ougandais au financement des infrastructures routières ou à la défense de sa frontière nord, s’opposent les nouvelles exigences de la Banque concernant la santé ou l’éducation des enfants.
On assiste alors, de Washington à Kampala et jusque dans le Bush, aux différentes étapes de négociations entre les membres du gouvernement et les experts de la Banque. Sont également filmées les réunions internes à celle-ci. Cette succession de discussions, notamment entre le pays débiteur et l’organisme créditeur, dévoile la nature véritable du travail entrepris et les liens qu’il induit.
Toutes les rencontres sont filmées pour ce qu’elles dévoilent du déroulement des négociations. La caméra témoigne discrètement de ces moments, toujours « de profil », les protagonistes n’étant jamais interpellés. La seule intervention du réalisateur réside dans le commentaire. Au fur et à mesure, l’accumulation des informations rend plus perceptible des enjeux qui dépassent largement le simple cadre de l’aide financière aux pays pauvres (intérêts des grandes puissances, conflits de pouvoir entre institutions…). Par ailleurs, la vision d’une situation qui opposerait, d’un côté les défenseurs de la guerre, et de l’autre ceux de l’avenir se trouble par les choix de montage. La tension sourde, sous les apparences diplomatiques, laisse apparaître un rapport de force trop inégal.
Pour autant, le sentiment d’un piège tendu par le réalisateur n’est jamais présent. À l’évidence, au-delà d’un probable désir de promotion, c’est avant tout l’assurance de bien faire, la certitude du bien-fondé de ses choix politico-économiques qui peut expliquer pourquoi la Banque s’est laissée filmer de si près. Mais montrer son travail quotidien, au travers du cas ougandais, revient aussi à mettre à jour cette assurance péremptoire et par-delà, à la questionner.
Au fil de ce documentaire, on mesure la pression qu’exerce la Banque mondiale sur son « partenaire » – bien qu’elle s’en défende – et l’influence qu’elle finit par avoir sur la politique nationale de ce pays.
Triste ironie de l’Histoire de constater comment ces pays du tiers-monde, à l’indépendance souvent chèrement acquise, n’ont souvent d’autre choix que de se soumettre aux exigences des institutions internationales, révélant ainsi toute l’ambiguïté des rapports Nord-Sud. Mais surtout, quelle que soit la manière de concevoir ces rapports, on connaît aujourd’hui, preuve à l’appui – la crise asiatique ou les nombreux échecs en Afrique –, les erreurs dramatiques faites au nom de dogmes érigés et imposés par ces institutions. Dogmes dont l’effet pervers majeur est l’endettement. Toutefois, aucun doute, aucune autocritique n’émergent du discours de la Banque sur son rôle et son action. Mais cette remise en cause ne pourrait que préfigurer, plus profondément, celle du système économique mondial.
Alors finalement, au bout de deux ans, l’Ouganda obtient du FMI un allégement de sa dette, « moins que prévu, plus tard que prévu », ainsi qu’un doublement des programmes de la Banque mondiale : « Ainsi se renouvelle la dette… ».
Sabrina Malek