Chronique Lussassienne, mardi

La peinture au cinéma, c’était pas le truc de Martine. Jérôme, qui brûlait d’envie de découvrir les critofilms de Ragghianti, dut se plier aux goûts de la demoiselle. Puisqu’on avait commencé avec Srebrenica, il fallait finir avec Warriors…
– Toi qui parlais hier de distance, c’est quand même intéressant de voir comment la fiction peut à son tour traiter le sujet !
Jérôme était battu sur son propre terrain. Qu’à cela ne tienne, la fiction, la distance, l’occasion était trop belle, en attendant l’extinction des lumières, de briller aux yeux de Martine en ressortant aussi sec son petit Preminger de poche (en dehors du fait que Jérôme lise un peu trop Skorecki, Preminger était depuis longtemps son dada préféré).
– On a parfois tendance à opposer la distance et la subjectivité, alors que pas du tout ! Regarde Exodus, c’est un film sur l’arrivée des juifs en Israël en 1947, raconté par un homme qui n’est pas à moitié sioniste, et où on ose montrer les terroristes de l’Irgoun sous un jour carrément humain, donc il y a tous les éléments de la plus grande subjectivité. Mais comme Preminger a un point de vue bien marqué sur chacun des personnages, il peut se permettre de poser sa caméra très loin d’eux, et ce faisant il les met tous à égalité.
– C’est pas la distance de la caméra qui fait qu’on a une distance sur le sujet, ce serait trop simple !
– Ben tout dépend comment on l’utilise cette distance. Là, grâce à la façon dont sont utilisés le scope (tout le monde dans le cadre) et la durée, trois heures tout de même, on a constamment le sentiment d’un certain partage, et ceci alors qu’on nous raconte l’histoire d’une partition. C’est un peu une formule, mais c’est vrai que là Preminger filme l’inverse de son scénario, et c’est ça qui donne cette sensation d’objectivité ! Plus les personnages sont pris dans des filets, capturés, assiégés, plus il y a d’air autour d’eux !
La lumière s’éteignit. Toute la journée Jérôme bassina Martine avec Preminger, jusqu’à la projection de La Terre des âmes errantes. Jérôme en sortit piteux. Il avait confondu quelques personnages, Martine avait dû lui expliquer, pendant une séquence qu’il ne comprenait pas, qu’on pouvait manger les insectes grillés, et la durée de certains plans lui échappait complètement.
– Arrête de vouloir chercher du sens tout le temps ! Tu te creuses la tête et tu te fatigues et pendant ce temps-là tu ne vois rien.
– Ben toi tu fais quoi pendant qu’on te montre des gens sur la route ou en train de creuser à tire-larigot, t’es bien obligée de penser quelque chose ?
– Je sais pas, je me mets à la place du réalisateur, et s’il insiste sur un plan, insidieusement, comme ça, je me retrouve dans le plan, et c’est suffisant.
– Moi j’ai besoin d’être dirigé plus que ça.
Martine comprit très bien comment Jérôme avait besoin d’être dirigé, elle lui prit la main, et ils allèrent oublier Preminger au Blue Bar.

Gaël Lépingle

La vie nue

Film très sombre que celui de Rithy Panh. Témoignage sans apprêt sur la condition humaine dans une économie désormais globalisée, La Terre des âmes errantes est aussi (surtout ?) une plongée sensible au cœur de l’Histoire du Cambodge. Cette entreprise de retournement des sols à des fins commerciales – ici la pose du câble orchestrée par la multinationale Alcatel (1) – met la mémoire collective à rude épreuve. En effet, derrière l’exploitation de la force de travail, le film pointe l’impossibilité d’un pays à faire le deuil d’une histoire tragique qui n’a toujours pas trouvé sa résolution politique – comme l’ont montré les récents épisodes entourant la mort de Pol Pot (2) et la difficulté à juger les responsables du génocide Khmer rouge. En révélant des vestiges d’ossements humains ou des mines antipersonnels prêtes à exploser à la moindre secousse, l’excavation des tranchées réveille les traumatismes du passé. Guérillas, répressions, emprisonnements, tortures, exécutions, mutilations, autant d’échos sinistres, fossilisés dans les profondeurs de la terre, qui remontent à la surface. Ne cessant de « trouer » le film, au propre comme au figuré, ce retour des spectres réactive la mémoire refoulée de plusieurs générations. Une opération douloureuse et difficile dans un pays exsangue travaillé par la peur, où l’amnésie à l’encontre des crimes perpétrés sous les précédents régimes autoritaires est toujours efficiente. Une loi d’amnistie exonère d’ailleurs de leurs crimes, quels qu’ils soient, tous ceux qui aujourd’hui se rallient au régime en place. Caméra au plus près des visages et des corps, sobriété des lumières, absence de commentaire, utilisation minimale de la musique, travail sur les durées et l’environnement sonore, forme anti-spectaculaire, les choix du réalisateur favorisent l’émergence, et l’enregistrement, d’une parole confisquée qui ne trouve aucun cadre « légal » pour s’exprimer. À cet égard les femmes marquent moins d’appréhension à manifester leurs sentiments (colère, révolte, désespoir), alors que la plupart des hommes semblent résignés, retranchés dans leur mutisme. Si les images de l’extrême précarité des familles et de la dureté des conditions de travail (avec le nomadisme qui l’accompagne) sont éloquentes, l’évocation des drames passés est par contre moins explicite, plus fine. Pour approcher la complexité de la réalité cambodgienne contemporaine – enchevêtrement de paranoïa politique, de croyances religieuses ancestrales et de brutalité économique – le spectateur doit abandonner ses repères usuels. Il doit oublier la tyrannie du temps réel, le flux télévisuel qui noie l’information ou les instantanés chocs de la photographie humanitaire qui sidèrent la vision. En revanche il lui faut accepter, comme le cinéaste, de prendre son temps. Attendre que d’une situation banale – préparer le repas, aller au temple, se laver dans le fleuve – du sens émerge dans la durée d’un plan, dans l’intensité d’un regard ou dans l’expressivité d’un geste. Au même titre que la parole (lorsqu’elle survient), l’incarnation du corps participe de cette sédimentation de la mémoire que le réalisateur veut mettre à jour. Le corps, en effet, est conjointement support et réservoir mnésiques. À travers les signes exhibés, il convoque directement (le moignon irrité d’une jambe), ou de manière détournée (la raideur cadavérique de corps endormis évoquant le génocide), les violences d’un passé enfoui comme celles du quotidien (une femme présente à un médecin une main remplie de pus). Le film tire notamment sa grande force de cette oscillation permanente, où partout le passé perce sous le présent. Avec une économie de moyens esthétiques remarquable, et sans livrer au spectateur des conclusions toutes faites, Rithy Panh révèle la part occulte des images, il rend visible ce qui ne l’est pas.

Éric Vidal

  1. La multinationale est doublement créditée au générique.
  2. Capturé par des « camarades » dans la jungle et condamné de manière expéditive à la prison à vie, Pol Pot, premier ministre d’un régime totalitaire, meurt en 1998.

À fleur de peau

Donnant à la célèbre phrase de Marguerite Duras « Que le monde aille à sa perte » une nuance où l’emporte le drame moderne de notre civilisation, Jean-Marie Straub, à une émission du Cercle de Minuit où il participait, rectifia : « Que ce monde aille à sa perte ».
Avec Leçons de ténèbres, c’est de ce monde précisément dont il s’agit, un monde que l’œil de la caméra pointe avec la force du déictique : ce monde-là, contemporain, opaque, dans lequel il est difficile pour Vincent Dieutre de pénétrer sereinement. Dès les premiers mots prononcés par la voix off, le film s’ancre donc dans un fragment très bref et très condensé de notre histoire (« Les années quatre-vingt-dix »), celle des technologies et du cynisme de masse (les portables qui bourdonnent partout en Europe, et qui stigmatisent ce désir hypocrite de communication). Pour autant, détournant la forme de la rhétorique classique, Dieutre ne se cache derrière aucune prophétie ou injonction (« Que le monde… ») pour émettre sa parole. Il précise : le monde n’a besoin de rien pour aller à sa perte. Il se détruit tout seul, de l’intérieur, comme un organisme malade, gangrèné jusqu’à la pourriture. À l’image de cette désagrégation : les organes malades de son amant sidéen ; ou la bande son, parasitée de sons puisés à la télé ou à la radio, qui créent une contre-voix insolente et perturbante, presque nocive. Feux d’artifice, pétards, bombes, bruits de chute, agressent et explosent à la gueule des amants flâneurs. Les sons contredisent les images, ou anticipent l’implosion qui les guette, et qui les grignote déjà. En cela, ils sont voyants. Ils disent la mort avant qu’elle ne soit montrée.
Incapable de filmer la mort, Dieutre tente de l’approcher dans la passion et l’oppression des corps (la petite mort). Une source de lumière (un projecteur de cinéma massif et rotatif) montrée comme un artifice de plus pour mieux pénétrer les choses, entoure les corps des amants faisant l’amour, les baigne de sa chaleur rouge, les magnifie, comme des êtres de peinture éclairés à la bougie (une réminiscence des peintures du Carravage, qui donne au film toute sa respiration), et les creuse comme des figures de cire promises au feu. Dans ces scènes d’amour, on évoque le film en train de se faire, on refait une scène, on teste. C’est là aussi, dans l’extrême condensation de cet espace, que pleure Tadeusz, libéré de toute tension narrative, donnant à voir sa face meurtrie, enflammée de rouge. Forcée par la vidéo, et surlignée dans les autres plans, la gamme des couleurs utilisée dans le film, principalement primaire (le visage bleu de Dieutre secoué par le cahot du bus), rappelle la teinte de certaines chansons. Celle de la variété italienne qui donne au film cet espace primitif et idéal que Pasolini, cité par un extrait sonore de La Ricotta, cherchait lui aussi dans le frioulan, et dans ces voix qu’il allait recueillir dans les bidonvilles de Rome ou les villages du Yémen, de Palestine et d’Inde. Aussi référencée soit-elle, cette quête est celle d’un humble. Non pas mystique, mais terrestre. Dans cet espace qui sépare les balcons suspendus des caniveaux dégueulasses de ces trois villes de culture (Utrecht, Naples, Rome) où chaque corps et chaque bâtisse est pure séduction et (conjointement) pure décadence.
Et de cette noirceur intestine dans laquelle sont plongés les Pays-Bas et l’Italie, s’échappe à la dernière minute le seul plan diurne de cette heure vingt minutes. La ville lourde et blanche : Rome. Le ciel bleu du matin. Comparés aux bruits de l’oisiveté de la nuit, le chant des oiseaux et le bruit des tondeuses ont quelque chose de totalement décalé. Dieutre a l’air de se réveiller d’un cauchemar quasi-initiatique, et d’halluciner l’Italie, berceau de notre civilisation (origine que matérialise d’ailleurs, dans le plan qui précède, une peinture représentant un enfant). Avec la tondeuse à gazon, c’est le retour à l’activité, la fin de son somnambulisme nocturne. Après avoir trimé, marché, caressé, joui, roulé, pleuré, Dieutre laisse éclater dans les limbes du demi-sommeil l’intention muette de regarder le monde autrement. Mais le doute demeure : est-il plus calme ou plus anxieux ?

Matthieu Orléan

Chronique Lussassienne, lundi

Cela faisait longtemps qu’il voulait l’emmener à Lussas, voir du documentaire, bouffer du séminaire, et se triturer les neurones sous les cieux ardéchois. Là, loin de Paris et de ses habitudes de spectateur usé, Jérôme comptait secrètement sur le regard naïf de Martine pour se refaire une virginité, et retrouver « la bonne distance » qui semblait lui manquer.
Ils s’étaient installés au Moulinage la veille au soir, et avaient à peine eu le temps de se remettre du voyage qu’à dix heures pétantes Jérôme traînait une Martine encore groggy à la première projection du séminaire sur Srebrenica. Toute une journée passée à subir les témoignages des atrocités commises dans l’enclave martyr, ça démarrait pas par de la chantilly.
Le soir tombait, et le pastis était bien entamé lorsque Jérôme pris son ton le plus sentencieux :
– Trois films sur le même thème traités aussi différemment, c’est un très bon exercice pour commencer, tu trouves pas?
Martine avait le ventre tellement noué que même le pastis ne passait plus.
– J’en sais rien, ouais peut-être, mais là tu vois j’ai pas vraiment eu l’impression de faire des exercices… J’ai pas trop la distance encore.
Jérôme sursauta. Encore ce mot.
– Justement, la distance c’est ce qui différencie un film comme Au nom de l’humanité des deux autres. Alors qu’il a été réalisé par une femme directement impliquée dans les événements ! Seulement elle se désigne comme telle, on sait qui parle, tu comprends (il siffla d’un trait son reste de pastis). Et elle fait d’autant plus attention de ne pas se laisser bouffer par l’émotion.
– Ouais c’est vrai, les pires tortures sont plus souvent racontées par le personnel du tribunal, par l’institution, moins par les victimes ou les témoins directs…
– Ça c’est un choix de réalisation ! Et la rigueur du traitement, l’austérité même de la forme, c’est quand même autre chose que…
Ici Jérôme allait à se lancer dans une grande tirade sur le chantage à l’émotion facile, le montage choc et la prise en otage du spectateur lorsque le flux de plus en plus dense de personnes se dirigeant vers la salle 2 lui fit réaliser que La Commune allait bientôt commencer.
Martine explosa.
– Attends ça dure plus de cinq heures et demie, on bouffe d’abord, on y va après !
– Mais la mise en place du film c’est essentiel pour…
– Tu fais ce que tu veux moi je bouffe d’abord.
Jérôme se résigna, pensant au magnifique discours qu’il y aurait à tenir sur le chemin du retour à propos de la distance, appliquée au dispositif du film de Peter Watkins. Les mots tourbillonnaient déjà dans sa tête lorsqu’il s’aperçut que pas une fois dans la journée il n’avait laissé Martine en caser une. Pour que son grand réapprentissage de spectateur aie une chance de voir le jour, il allait lui falloir prendre beaucoup sur lui…

Gaël Lépingle

Si loin, si proche

Juxtaposer les films réalisés sur le drame de Srebenica et enchaîner leur vision est assez éloquent. La catégorisation des genres (reportage, investigation, documentaire d’auteur, téléfilm…) paraît soudainement incontournable et éviterait presque de trop long discours à l’égard de certains films. Les points de vue portés sur ce qui s’est passé dans cette enclave de l’Onu énoncent un certain nombre d’intentions : expliquer, impliquer, démontrer, et interroge de façon transversale la valeur de témoignage de ces films. Pour tenter de répondre à ces enjeux, les approches diffèrent.
A cry from the grave est une tentative assez éprouvante – il faut le dire – de rendre compte de cette tragédie. Un commentaire très présent, un montage spectaculaire parfois même inacceptable (voir le plan avec la tête de cochon), des scènes d’autopsies et de charniers très insistantes, l’utilisation de sources d’images différentes (vidéo amateur, archives télé, interviews, reconstitutions de certaines scènes), nous entraînent aux frontières de la propagande, dont voulait sûrement s’éloigner cette expérience cumulative : multiplier le nombre des points de vue comme gage de vérité. On est parfois plus proche de la persuasion que de la réflexion. Section grand reportage ?
C’est la précision qui prévaut avec Une chute sur ordonnance, dans son essai d’explication de ce qui a conduit au drame. Un travail d’enquête mené avec rigueur, au jour le jour et dans les moindres détails pour essayer de comprendre les enjeux, les prises ou l’absence de décisions, mettre à jour les lâchetés : dénoncer. L’investigation et le travail de recoupements des témoignages, des interviews et documents écrits se veulent des plus implacables. Mais le ton du commentaire et la musique dramatisent inutilement l’intention. Enfin, au sortir de ce dédale militaro-politique, si le film en pointe bien les errances et les irresponsabilités impardonnables, il peut aussi en rester un diffus et ambigu sentiment belliqueux.
Au même titre que Warriors d’ailleurs, téléfilm efficace et sûrement très utile, qui en dehors de certains travers scénaristiques – toujours en rajouter dans l’émotion – choisit de mettre en scène une partie de ce qui avait échappé aux images, plus près d’un intime, celui des soldats de l’Onu et de leur impuissance face à l’horreur : dénoncer et indigner.
Au nom de l’Humanité démarre par la signature des accords de Dayton à Paris et dévoile cette scène dans une durée plutôt rare pour ce genre d’événement – tant elle a été hachée par les actualités télévisées et noyée sous les commentaires journalistiques. On peut dès lors tout simplement regarder. D’emblée cette séquence annonce le travail de distanciation à l’œuvre dans le film, porté par la fonction même de l’institution du Tribunal de La Haye et de ses représentants : témoigner, rendre justice. La forme est sobre et le propos précis.
Mais dans ce qui serait au plus près de l’implication, de celle qui laisse une trace plus que visuelle – quelque chose peut-être d’une résistance sourde ou d’une forme de conscience –, en écho incontournable à cette programmation, répond en fin de semaine, le monumental L’Année après Dayton. Nikolaus Geyrhalter suit une année de la survie dans l’après-guerre. Les saisons rythment le film et la lente tentative de reconstruction. La démarche si caractéristique du cinéma de Geyrhalter trouve toute sa force et son envergure dans cette rencontre avec un au-delà de la guerre très pudique, au plus près des personnes.
Cette façon de marcher dans les traces, pas à pas, de ceux qu’il filme, de se fondre avec le temps et d’entretenir avec lui un rapport à la nécessité ou à l’intégralité, s’accorde avec intégrité et non pas avec quantité. Ainsi au moment où cette femme ressort dans la ville détruite, l’impression d’investir pour la première fois un lieu d’après-guerre dévasté qui transforme une image si souvent vue, un cliché, en un lieu incarné dans lequel la vie reprend.
C’est la dimension irrationnelle et humaine que l’on approche : jamais le film en lui-même ne recherche les causes, c’est toujours aux personnes qu’il revient d’en juger. Ici, multiplier les points de vue, c’est demander et redemander à chacun de raconter une même situation, de décrire chaque chose avec minutie : le quotidien, la nourriture, le logement, les sentiments. C’est toujours à l’autre qu’il revient d’expliquer et de décrire. C’est un processus d’imprégnation ou de perméabilité, jamais fusionnel, qui contamine rapidement le spectateur. Le film démontre la capacité du plan-séquence à accompagner la tentative de recomposition à laquelle sont confrontés les rescapés, les déportés. Et ceci jusque dans des plans d’apparence anodine qui révèlent le caractère vital de l’action : déblayer à la pelle l’étage d’un immeuble désossé, pour combler l’absence de demeure, déminer, pour reconquérir la liberté de se déplacer. Les actions s’inscrivent et surgissent dans le plan. Jamais Geyrhalter ne semble à la recherche de l’action, il l’attend. Et toujours dans ce respect d’une durée qui permet d’évaluer celle nécessaire à la réparation, peut-être infinie.
Le film paraît réconcilier l’ensemble des intentions, parfois trop isolées dans d’autres films, sans jamais pourtant chercher à en faire la synthèse.
L’alternance entre la fixité des plans et les mouvements d’accompagnement du film, proche d’une respiration, autorise une liberté de regard et de critique qui valorise fortement le témoignage et emporte finalement dans son sillage les autres films.

Christophe Postic

De la rencontre

On se demande un peu quelle commande Leclerc du Sablon s’est passée à lui-même en préparant son film : l’improbable voyage ferroviaire du réalisateur à travers la France semble nous emmener vers une carte du tendre des gares, de leurs buffets sinistres et de leurs quais déserts, prétexte à toutes sortes de rencontres impromptues. Il y a même un petit McGuffin : le souvenir du bruit du percolateur d’une gare lointaine, qu’il faut à tout prix retrouver, comme on chercherait une madeleine passée pour vérifier que son goût est intact, et respirer à l’idée qu’elle existe encore. Mais chaque fois que des enjeux sont posés, ils sont systématiquement déjoués : on oublie vite le percolateur, et les rencontres échouent la plupart du temps à aller au-delà du simple échange de banalités sur les trains, les paysages qui défilent et les rêveries que cela suscite (l’entêtement du réalisateur à essayer d’aller plus loin – à tous les sens du terme – dans ces conversations est d’ailleurs assez cocasse).
Il y a cependant une scène, une seule, je crois, de vraie rencontre : à force d’interroger ses voisins de wagon sur ce que tout voyage en train évoque en eux et particulièrement au niveau amoureux – la promesse d’une rencontre, la focalisation sur un voyageur inconnu – le réalisateur tombe sur une jeune fille en pleurs, qui lui confie que son amoureux l’a quittée, et que personne, pour la première fois, ne viendra l’attendre à l’arrivée du train. La scène dépasse complètement tout le processus d’approche habituel : on y débarque bille en tête, ce qui a pour effet de gommer toute altérité entre les deux protagonistes. C’est qu’il s’agit moins d’une rencontre que d’un miroir tendu au cinéaste : on a la sensation que la jeune fille dit à sa place, très exactement, ce qu’il voulait entendre. Si cette rencontre est si forte, c’est qu’elle incarne idéalement le projet d’un film qui ne pourra se faire, pour la bonne raison que justement, elle est trop idéale pour pouvoir se rejouer.
Le film attendra vaillamment une scène pareille, attente toujours reconduite, et toujours vaine. Mais ce faisant, il se sera créé sa propre madeleine, le souvenir des paroles de la jeune fille éplorée hantant tout le film comme une plaie inguérissable. Seules subsistent alors les démarches d’approche ou de séduction, et la difficulté, voire l’impossibilité des rencontres. Pour conter vaille que vaille son ode mélancolique, il faut au réalisateur renoncer peu à peu à aller au devant des autres, occuper le plan dans une posture de plus en plus autiste, accepter de n’être que le sujet de son film : Leclerc du Sablon décide in fine d’endosser les habits d’un chef de gare, comme si l’épaisseur du costume allait donner de l’épaisseur à son personnage. Mais là non plus, le cinéaste n’est pas dupe de son propre jeu, de sa tentative de fiction : la dilatation des plans est telle que l’accent se met du coup sur la façon dont il va réussir à (se) sortir du plan, à le finir, contraint bien souvent à improviser une fin qui vient toujours trop tard. Illusion : sous ses habits de chef (de gare), Leclerc du Sablon ne dirige pas plus le trajet des trains qu’il ne veut diriger celui de son film : l’humilité du narrateur contrebalance l’ego démesuré du personnage, laissant la vie filer sa trame bien au-delà des plans, et empêchant toute résolution.
Car au fond, c’est bien d’une quête impossible dont nous parle Micheline : le titre lui-même est révélateur, assimilant le moyen (la locomotive) et le but (la femme rêvée), donc interdisant toute rencontre définitive puisque cela même qui l’occasionne contraint à continuer sa route toujours plus loin. Même un air d’accordéon, ou une chanson en chœur dans un wagon, même le percolateur retrouvé n’y feront rien : Micheline est un très joli traité d’impuissance.

Gaël Lépingle

Sens commun

« De lentes monographies enfouies en des archives de Bénédictins »

Jaurés

De quelle gravure, de quelle somme historique ou universitaire, de quel texte passionné, raisonné ou engagé sortira encore le cri de la révolte des communards, celui qui engage le corps avec l’esprit, le cri sortant des visages transformés dans le présent intense de la lutte ?
L’histoire en tant qu’étude, permet aux mieux la reconstitution (historique, elle sera précise et fidèle dit Le Robert). Peter Watkins, dont on connaît la volonté d’exploration des lieux et des temps de luttes où les caméra et les micros n’existaient pas, place encore les siens face à des acteurs, garants traditionnels de la fiction, mais dans une motivation de capter une réalité invoquée, vivante, d’une véritable actualité.
La Commune de Paris est un événement fondateur car révolutionnaire, tentant de proposer un ordre social nouveau plutôt que d’obtenir une simple réparation des préjudices. Cristallisant les espérances et tragiquement écrasée, elle est inspiratrice des élans des luttes sociales et politiques qui la suivront. À ce titre, elle est donc présente dans le cœur de ceux qui s’engagent aujourd’hui dans maints combats progressistes. C’est bien à partir de cette prégnance que Watkins se livre à une recréation de la Commune, préparant les conditions propices à sa réémergence.
Son décor, reconstituant quelques lieux d’une rue parisienne où vont pouvoir se vivre toute les actions (un atelier, une école, des appartements d’ouvriers ou de bourgeois, une rue…), est un véritable espace scénique. Sa disposition sans coulisses et les multiples passages conduisant d’un lieu à un autre permettent une circulation fluide de la caméra. C’est un lieu presque habitable, les acteurs y restent costumés, même lors de discussions collectives posées sur leur propre quotidien. Le film s’ouvre sur une visite de ces lieux, une présentation du travail réalisé avec les acteurs et des choix de cadrage. D’autres informations sur les arcanes du tournage nous serons données au cours du film. Cette transparence non systématique suffit à donner une idée du processus qui se joue. Acteurs non pas professionnels et habitués au jeu de l’incarnation mais amateurs provoqués dans un jeu différentiel entre ce qu’ils sont ou pensent être, ce qu’il savent et ce/ceux qu’ils incarnent. Watkins déplace sa caméra en de longs plans-séquences passant d’un groupe, d’une situation à une autre. Ces scènes préexistent et dureront après leur captation par la caméra, menées par les acteurs dans une improvisation préparée par un long travail de discussion. Si nombre de choses se passent hors champ elles ne sont pas perdues. Elles entretiennent le champ du possible, celui du collectif en action et en confrontation, où l’expérience est réellement vécue par les participants. L’enjeu du film n’est pas tant la transmission « mécanique » du déroulement des faits mais la captation du surgissement de la révolte. Le cadrage devient alors un jalonnement. Celui de la topographie mouvante et émouvante installée dans la durée. Cadre visuel et temporel, il offre l’accumulation contre la perte, l’imprégnation comme enjeu d’une connaissance intime.
Dans ce lieu où ces humains sont mis en situation pour faire revivre une mémoire collective et présupposée intemporelle, Watkins use d’artifices. Provocateur, il met en scène deux chaînes de télévision anachroniques. L’une, étatique, aux mains des Versaillais, incarne la nécessité du contrepoint plus qu’une critique des médias. L’autre, confusionnelle car sentimentale, est celle des journalistes proches de la Commune. Leur prise de conscience et l’abandon d’une objectivité illusoire mèneront à la fusion progressive de leur caméra et de celle de Watkins (ce n’est pas un hasard si leurs acteurs seront les guides de la visite initiale, représentants du collectif). Cette confusion est bien ici instrument de révélation. Ces reporters en devenir d’intercesseurs sont présents dans les actions où s’investissent totalement les acteurs, corps et esprit (comme les scènes de barricades). Ils leur posent des questions sur leur engagement personnel et sur celui de leur personnage. Ces questions rapidement enchaînées contournent les défenses en provocant des ruptures, dépassent les préconçus, traquent l’hypothétique vérité. Alors voilà les corps dans l’action, l’effervescence, livrant des cris libérateurs et propitiatoires, dans la création actuelle d’un passé, puis s’ouvrant en faille, sur l’intériorité. Ces désarçonnants glissements sont aussi provoqués par le montage de scènes d’actions et d’extraits de discussions, de réflexions « à froid » des acteurs sur leur façon d’aborder leur personnage. Si ces glissements provoquent le questionnement d’abord chez les acteurs, ils l’incitent chez le spectateur, le confrontant par empathie à ses propres contradictions, le poussant à chercher lui aussi le sens humain de ses événements.
La Commune est un film faisant des esquisses les parties intégrantes de l’œuvre. Un film d’expérience autant que celui d’une expérience. C’est une tentative de connaissance par le cœur autant que par l’esprit, de recherche d’une vérité de la lutte qui n’existe que dans le présent de sa quête.

Boris Mélinand

Édito

Que le milieu de cette semaine soit marqué par une réflexion sur « la bonne distance » ne nous a pas laissé indifférents. Daney a écrit, en substance, « filmer c’est mesurer à quelle distance de soi commence l’autre ». Nous situons-nous plus loin d’un sujet s’il est radiophonique, si on ne peut le toucher des yeux ? Quelle proximité c’est-à-dire aussi quelle liberté le cinéma peut-il se permettre avec la peinture ou le théâtre quand il les filme ? La distance induit également une idée de temporalité, de mémoire : n’est-il pas surprenant de constater à quelle point cette année de nombreux cinéastes (ceux du séminaire sur Srebrenica, Nikolaus Geyrhalter) ont pris le risque de s’engager et de filmer aussitôt l’Histoire tandis que Ruth Beckerman l’interpelle de plus loin, la réinterroge, l’actualise sans cesse ? Et si les films nous regardent, d’où nous regardent-ils ? Où nous touchent-ils ? Profond ou pas ?
Quelle que soit la distance, il s’agit en tout cas de transmettre, par tous les moyens. La programmation radiophonique comme les séminaires, loin de proposer une consommation d’images, tenteront de nous faire penser le monde « en » cinéma. Car le cinéma est un art du regard mais aussi de l’écoute et de la rencontre. C’est pour cette raison que nous essaierons de ne pas trop nous éloigner les uns des autres. Bienvenue ici donc, et si Lussas n’est pas pourvu en piscines, que ça ne vous empêche pas de plonger à la rencontre des réalisateurs et à la nôtre. Mouillez vous !

Marie Gaumy pour l’équipe

Une pratique humaine

Avec Iri et Toschi vont à Minamata, Tsuchimoto accompagne un couple de peintres, Iri, l’homme, et Toschi, la femme, qui s’est installé à Minamata pour y peindre les victimes de l’épidémie de mercure, dont Tsuchimoto avait déjà montré les conséquences dans Minamata, les victimes et leur monde, et La Mer de Minamata.

Ce qui nous frappe d’abord dans ce film, c’est son temps. C’est une approche lente, paisible du travail des peintres saisis dans ce que leur tâche a de plus humble. Ce sont de longues séquences où, silencieux, ils travaillent de concert (Toschi dessine, Iri peint). La peinture est avant tout un travail manuel, qui fait d’abord ici appel à la modestie (Iri avoue qu’il dessine mal, et qu’il se contente depuis de peindre), et surtout à la patience. C’est peut-être le simple secret de la création pour Iri, septuagénaire, qui déclare sereinement n’avoir pas encore créé ses plus belles toiles.

C’est avec la même patience que Tsuchimoto filme la peinture. Comme Iri dit ses hésitations, ses doutes, le filmage dit sa difficulté à affronter la peinture achevée, conçue comme une œuvre d’art (la peinture n’est filmée jusqu’ici qu’en train de se faire). Dans un jardin, deux hommes transportent une toile : par un long travelling panoramique, la caméra s’en approche très lentement, mais s’arrête lorsqu’elle est au bord de la filmer. Prendre son temps, ne rien brusquer, ne pas se faire violence non plus, écouter les moments perdus, filmer ce qui pourrait être inutile, telle est la démarche de Tsuchimoto : la façon dont il suit les longues promenades des deux peintres, leurs conversations languissantes…

Mais lorsque le moment est pour lui venu, Tsuchimoto se confronte à la peinture. C’est alors un grand moment de cinéma. Sur une musique qui nous fait penser aux cordes de Bartok, dans une séquence de près de vingt minutes, la caméra s’immerge dans une toile qui exprime toute l’horreur humaine. L’inanimé devient animé : les corps sont écorchés, disloqués, les bouches sont ouvertes dans un hurlement silencieux, le cinéma devient peinture et la peinture devient cinéma : Tsuchimoto en utilise toutes les possibilités, travellings, zooms, panoramiques. Il s’approche, il s’éloigne, il reste statique de longs moments. La durée, la longueur du plan, devient ainsi l’équivalent de la monumentalité de la peinture, dont on ne voit l’ensemble que de loin.

Au fond, le film touche à cette interrogation primordiale : comment représenter l’horreur de la douleur humaine ? Et en a-t-on le droit ? C’est encore une fois la sérénité des deux peintres qui y répond : Toschi n’a d’abord pas supporté la vision des victimes qu’elle était venue peindre. Sans se faire violence, elle s’approprie lentement Minamata, son décor, dont la beauté solaire laisse Iri incrédule : comment une telle tragédie a-t-elle pu avoir lieu ici ? Surmontant sa peur, Toschi se rend à l’hôpital, parle aux victimes, rit avec eux. Un lien se crée : les deux peintres retrouveront deux des malades au bord de l’eau, leur offriront même des toiles. C’est ce lien qui leur permet de peindre l’horreur de la souffrance : ils ne circonscrivent pas les victimes à leur maladie, mais les considèrent comme des êtres humains à part entière.

La peinture est une pratique humaine, et c’est parce que loin d’être des peintres démiurges, Iri et Toschi sont des hommes parmi les hommes, parce que la forme n’est pas chez eux un but en soit mais qu’elle est au service d’une manière d’être au monde, qu’ils ont le droit de peindre l’horreur, qu’elle soit d’Auschwitz, d’Hiroshima ou de Minamata. La morale du cinéma de Tsuchimoto s’accorde à celle des deux peintres : loin de sombrer dans le spectaculaire, il filme les malades en plan d’ensemble en se refusant l’effet facile des détails de leurs corps meurtris. C’est la beauté d’un visage qu’il tente de mettre en valeur. Deux victimes, deux adolescentes, marchant au bord d’un quai, sont montrées pour ce qu’elles sont : deux jeunes filles qui marchent vers leur avenir. De même, on ne verra pas Iri, malade, lors de son court passage à l’hôpital : Tsuchimoto ne filme pas la dégradation de la vieillesse, il n’en extrait que l’espoir qu’elle porte en elle. Celui d’atteindre un jour la sérénité.

Thomas Lasbleiz

Histoires belges

Pour bénéficier de certaines allocations, les chômeurs célibataires belges sont soumis à des conditions particulières, notamment celle de justifier de leur célibat. Alors l’Onem (Office national de l’Emploi belge) traque les tricheurs. Faisant fi le plus souvent de la loi sur l’inviolabilité du domicile, en jouant sur la peur d’hommes et de femmes financièrement pris à la gorge, les inspecteurs pénètrent dans les appartements, à la recherche de l’indice qui trahira la situation irrégulière. Une brosse à dent, une paire de chaussures ou une chemise. Peu importe si ces objets appartiennent à un ami de passage ou à un père rendant régulièrement visite à ses enfants, la suspicion suffit à supprimer les droits de ces bénéficiaires. Pour leur enfoncer un peu plus la tête sous l’eau.

Cela arrive près de chez nous, mais on n’a aucun mal à imaginer que la société belge n’a malheureusement pas l’exclusivité de ce type de pratique, où le cynisme d’un système le dispute à l’absurde rigidité de son application. Lorsqu’il s’agit du fonctionnement d’une administration, Kafka n’est jamais loin. Les surréalistes non plus.

Le film est d’abord un constat édifiant sur l’injustice sociale, celle que génère une société fragilisant économiquement et psychologiquement des individus, pour mieux les exclure ensuite. Ce n’est pas la misère la plus noire qui est montrée ici, mais des hommes et des femmes pris dans un piège qui les y conduit inexorablement. C’est ce moment limite où l’on possède encore un appartement et quelques ressources, que l’État s’ingénie à rendre de plus en plus maigres. Cette étape où l’on est au bord du gouffre avec de moins en moins de branches auxquelles se raccrocher. Et pour une personne qui obtient le classement de son dossier par le Bureau des litiges, combien d’autres ont-elles vu leurs droits supprimés ? (On ne manque pas d’ailleurs de questionner l’influence de la caméra sur cette décision). Toutes ces scènes sont imprégnées d’un sentiment d’accablement et de résignation que les plans, souvent fixes, ne font qu’accentuer.

Une scène pourtant, moment charnière du film, va casser cet état statique et pesant. Celle où un homme se retourne vers la caméra pour crier sa colère. Le réalisateur, comme interpellé par cette virulence, semble bousculé dans son projet initial : filmer des situations préalablement mises en scène. Le rythme du film soudain s’accélère, déclenchant du mouvement. À la fois mouvement de caméra et mouvement de révolte. La parole se durcit, la tonalité du film change, les prises de vue, caméra à l’épaule, deviennent plus nerveuses. Dès lors, la parole isolée cède la place à un discours où la nécessité de se battre ensemble devient prédominante. Les mots, sans illusions et au bord du désespoir lorsqu’ils sont dits en solitaire, se font plus combatifs une fois exprimés au sein d’un groupe où chacun peut partager ses difficultés. Mais le cri du chômeur, qui ne se reconnaît pas dans les luttes syndicales, rappelle qu’une fracture sociale peut en cacher une autre : un gouffre d’incompréhension sépare le monde des exclus du monde du travail.

Un homme, pourtant, traverse le film pour relier ces deux univers. Un boulanger, à la fois vecteur narratif et lien entre les hommes. Son regard ouvre des espaces d’espoir dans la pesanteur du climat social. Au delà de la métaphore sur le pain qui se partage, le boulanger est celui qui rentre dans les foyers, imposant l’idée que seule la conversation avec l’autre permettra la compréhension mutuelle.

On peut penser que cette démarche symbolise celle du cinéaste. Dès le départ, lui aussi se veut à l’écoute des gens. Mais le dispositif mis en place initialement paraissait trop rigide pour que la parole puisse se livrer entièrement. En se laissant bousculer dans son approche au cours du film, il déplace son point de vue pour se rapprocher des chômeurs et passer d’interviews préparées à des instants saisis sur le vif. Au risque parfois de réaliser un film un peu fourre-tout. Sûrement faut-il voir dans ce choix d’aller « sur le terrain » la volonté d’André Dartevelle de rejoindre la position de la troupe de théâtre, pour qui l’engagement de ceux qui ont accès à la parole, artistes et intellectuels, ne peut se faire sans « descendre du balcon ». Pour s’impliquer dans le débat public et tenter de pallier l’absence, à de trop rares exceptions, de réactions collectives.

Francis Laborie