Il pleut, il fait froid, l’humeur est mauvaise. Râlons un peu.
Daney dans Persévérance disait que son amour du cinéma est né pour une part des pratiques de spectateur qu’il autorise, du plaisir qu’il y a à ne pas être tenu quand on y va, comme c’est le cas au théâtre, d’arriver à l’heure, de rester jusqu’à la fin. On imagine qu’elle a (aurait) été sa pratique de festivalier : sans astreintes horaires, n’obéissant qu’à son désir, fuyant l’ennui à tâtons dans le noir, entrant dans une salle pendant la projection comme on ouvre un livre au hasard de ses pages. À Lussas, ça n’est pas possible. Après l’heure c’est plus l’heure. Par cette règle, contre quels risques se prémunit-on ? Désagréable impression pour le festivalier d’être d’emblée soupçonné de mauvaise éducation : on ne saurait pas se faire discret pour les autres. Ici, pas d’ouvreuse : les allées et venues des belles jambes de la bénévole dans le halo de sa lampe risquerait de détourner l’attention des novices chez qui la cinéphilie n’a pas encore éteint la libido. Et tant pis si le retardataire est un Truffaut en puissance (1). Le bon spectateur est ponctuel. Il respecte l’intégrité de l’œuvre, se plie à l’idée qu’il n’a rien vu s’il n’a pas tout vu. D’ailleurs l’enjeu n’est plus tant pour lui de voir que d’assister à la projection. Il n’est pas mu par une pulsion scopique incontrôlée mais par une soif de culture. Il a le sens du sacré. C’est un peu triste : la sacralisation du cinéma le charge d’une gravité qui évacue le plaisir. Un grand engouement pour le film : Le silence des Nanos. Difficile à comprendre. Ce serait sa forme innovante ? « Autoproduit, autoréalisé » (sic) et autoproclamé « premier film cybernétique ». C’est quoi un film cybernétique ?: on tape « nano video » sur google et on se laisse guider. Pour Julien Colin réaliser c’est surfer. Ce qui donne un joyeux brassage d’interviews, d’extraits de show télé, de conférences, de films publicitaires, de trailers de série télé. Éclatement des références et du propos. Un clic de souris sur un lien lance la séquence. D’où une mise en abîme des cadres : celui du programme de lecture dans celui de l’écran d’ordinateur dans celui de la projection. Moyen pour l’auteur d’indiquer que si c’est sa réalisation, il n’y est cependant pour rien. Alors la force du film serait d’actualiser par son dispositif les catastrophes qu’il annonce : l’abolition de l’éthique ? (Ici, la conscience du réalisateur n’a rien à assumer : c’est pas lui, c’est internet). Le devenir robot de l’humain ? : le réalisateur délègue la création à l’ordinateur. Sa réduction par la science au statut de « machine informationnelle » : le titre du film indique que la démarche est informative, qu’il s’agit de faire du bruit sur un événement passé sous silence. Peu importe que l’identification de l’événement soit tautologique : les nanos technologies c’est intéressant parce que tout le monde s’y intéresse : politiques, industriels, universitaires.
Tout ça pour en venir à ce qu’on sait déjà : le problème c’est pas les nanos, mais l’insubordination de la production tech- nique à l’éthique, le renoncement des peuples souverains à décider.
Ce film est une confuse et tonitruante annonce de l’apocalypse. Les nanos, chargés de tous les maux, avaient au moins le mérite, avant qu’on les agite, d’être silencieux.
Que dit la météo pour demain ?
Antoine Garraud
- Revoir L’Homme qui aimait les femmes.