True story

Rencontre avec Avi Mograbi, réalisateur de How I learn to overcome my fear and love Arik Sharon.

J’aime beaucoup l’humour mais je ne l’ai pas utilisé dans mes deux films précédents, leurs sujets étant très différents. Le fait de réaliser un film sur Arik Sharon me faisait très peur. Cependant nos rencontres se sont déroulées sur un mode humoristique et j’ai pensé qu’il fallait utiliser l’humour aussi loin que possible. Je pensais au début faire un film totalement différent : un film très politique sur une figure que je déteste. Je voulais faire apparaître les choses affreuses qu’il a dans sa tête ou que je pensais qu’il avait dans sa tête. Mais la construction du film a pris une autre direction car il ne s’est pas livré si facilement. Il ne nous a pas montré le côté monstrueux de sa personnalité mais plutôt son côté sympathique, poli, très correct. Je pensais que le rire pourrait, peut-être, aider le spectateur à voir l’aspect ironique de l’histoire, qu’il aiderait à comprendre que le personnage que je joue ne raconte pas nécessairement une histoire vraie. Car cette histoire est terrible : quelqu’un, moi en l’occurrence, change de point de vue politique et sa femme le quitte du fait de ce revirement. C’est une histoire tragique pour le personnage que je joue dans le film. J’utilise ma biographie et ma vie de famille pour raconter une autre histoire. Je mens dans le but de faire émerger une vérité plus forte.

Mon travail n’est pas construit autour d’une position théorique sur laquelle je me serais appuyé, comme certains réalisateurs peuvent le faire. Il peut être relié après coup à une théorie. Ce qui est amusant, c’est que lorsque je pense à mon prochain film je me dis que je vais mentir à nouveau sur ma biographie. Mon procédé est une provocation, détourner une histoire vraie en une histoire fausse et donc mettre le doigt sur nos points faibles. Je crois que la façon dont on approche un sujet que ce soit par le biais du mensonge ou de la vérité peut permettre d’atteindre une vérité qui est au-delà. Dans mon film je mens sur des détails, notamment chronologiques, mais je raconte une histoire vraie. Je me suis rendu compte que Sharon pouvait être sympathique. Alors, j’ai réalisé qu’un tel processus pouvait arriver, que la personnalité d’un individu pouvait influencer les idées que l’on a sur lui. Car Arik Sharon a fait des choses terribles. C’est pourquoi j’ai pris sur moi de jouer ce personnage, un peu ridicule, qui tombe dans le piège d’un charisme et d’un discours gentil.

Le film a été montré deux fois à la télévision israélienne parce qu’il se disait qu’Arik Sharon allait être ministrable. Il était donc le centre d’intérêt de l’opinion publique, et c’est pour cela que le film fut rediffusé. Pour un documentaire, le film a eu une grande audience. Il faut dire que nous n’en voyons pas beaucoup en Israël, cela n’intéresse pas vraiment les gens. Le film a été très bien reçu, et lorsque je me promène dans la rue, parce que j’apparais dans le film, les gens m’observent avec un sourire complice aux lèvres. Parfois je me demande s’ils ont vu le film dans le sens où moi je le voudrais car c’est tout de même une histoire « tordue ». Quelques personnes ont saisi l’ironie du film, mais d’autres ont pris l’histoire au premier degré. Par exemple, beaucoup m’ont demandé si ma femme m’avait vraiment quitté. J’ai reçu un tas de lettres, c’était très étonnant pour moi.

Il y a un risque que mon film soit pris au premier degré. C’est pourquoi je dis que le film est provocateur. Pour les gens qui sont du même bord politique que moi, Arik Sharon a été, depuis ces quinze dernières années, l’homme de droite le plus haï par la gauche. À cause de ce qui est arrivé pendant la guerre du Liban et du fait des implantations juives dans les territoires occupés car Sharon ne raisonne qu’en termes de solutions militaires. Beaucoup de gens m’ont aussi dit que le film était bénéfique pour lui, qu’il pourrait toucher le cœur de ceux qui le détestaient. En fait Sharon a beaucoup aimé le film. Je ne sais pas si c’est ce qu’il pensait vraiment ou si c’est ce qu’il pensait être bon de dire. La situation au moment des élections en Israël était tellement en faveur du film, que je ne sais pas s’il était bon pour lui d’aller politiquement contre le film. Beaucoup de gens de son camp ont écrit dans des journaux importants que je l’avais montré sous son meilleur jour. Mais si des gens l’ont vu comme cela je ne peux rien y faire. Je pensais que ce serait superficiel. Bon d’accord, il peut paraître gentil, mais moi je fais en même temps toujours référence au massacre de Sabra et Chatila. Et puis il y a ce dernier rêve à la fin du film où l’on voit à l’écran des images qui vont du massacre à l’assassinat de Rabin. Ce qui je pense est un point de vue provocateur. J’ai été surpris que personne ne réagisse à cette façon de relier les deux événements. Je pense que la plupart des gens refusent d’effectuer ce lien. C’est comme si cela n’avait pas été dans le film, comme si les gens se disaient : « je ne veux même pas y penser ». Quand j’ai monté ces images je me suis dit que j’allais peut-être trop loin. Si les personnes qui aiment Arik Sharon et qui ont vu ce passage ne protestent pas, c’est leur problème. Si certains ont su voir le dilemme entre les bons et les mauvais côtés de Sharon, c’est suffisant pour moi.

La place de ma vie privée dans le film est à envisager sous deux aspects. Pour les spectateurs, c’est un moyen plus facile de les convaincre qu’ils ont à faire à un personnage réel qui leur parle. Pour moi, ma motivation de faire un film sur Sharon est liée au fait d’avoir refusé de servir au Liban et d’avoir fait de la prison pour cela. La part réelle de ma vie est importante à cause de mes positions politiques. Il y a aussi le fait qu’avec mon père nous avions des avis radicalement opposés sur la guerre du Liban. Il était important pour moi de l’exprimer.

Mais, pour l’essentiel, les éléments biographiques du film sont complètement truqués, ma femme ne m’a pas abandonné et moi je n’ai jamais oublié Sabra et Chatila.

En Israël, il est très difficile de trouver de l’argent pour réaliser des films, même si les documentaires coûtent moins cher. Les télévisions publiques et câblées ne donnent pas assez d’argent, même si elles en donnent plus qu’avant. Au début de la production personne ne voulait financer le film. Alors j’ai décidé de le financer seul. J’ai acheté une caméra Hi-8 et l’équipe se composait d’un cameraman et de moi, au son. J’ai investi dans du matériel de montage virtuel et j’ai monté le film chez moi. Cette idée de produire un film de la sorte m’est venue quelques années auparavant lorsque j’ai vu un film de Ross McElwee. J’étais stupéfait par le fait qu’il réalisait ses films complètement seul, d’un bout à l’autre. L’absence de contraintes de temps pour monter le film m’a permis de comprendre les problèmes qui se posaient, et d’y trouver des solutions.

Propos recueillis et traduits par Christophe Postic et Éric Vidal