Il faut se défier de recettes ou de toute idée préconçue sur ce qui ferait un bon sujet de film. (1)
Jean-Paul Colleyn
L’effet transsibérien met à jour le double tranchant de la démarche « carnets de voyages ». Notre adhésion de spectateur à ce type de documentaire réside pour une large part dans la diversité des aléas survenant dans le parcours. La somme de ces micro-événements donnera sa consistance au récit et le fera progresser au delà d’un dispositif imaginé sur le papier.
Xavier Villetard a évité les possibles dérives racoleuses de certains magazines télévisuels. D’emblée, il affiche clairement par un texte préalable son projet narratif : le spectateur s’embarque pour un « railway movie » à ossature littéraire. La musique des mots de Blaise Cendrars rythmant l’ensemble, l’objectif de la caméra balaye paysages, fixe gestes et visages. Le micro recueille bruits, réflexions des passagers. Dans son ensemble, cette proposition narrative met le spectateur en situation de voyageur, « en partance » dans une Russie dont on connaît déjà le chaotique visage. Si quelques remarquables séquences de captation (les enfants dans la neige au début du film, la confession du capitaine Akchar dans le noir, entre autres) parlent en faveur du film, on éprouve à l’issue de la tentative une déception sur la forme.
Le narrateur se met en scène dans le couloir du train. Cette marque d’énonciation régulière nous donne à prévoir rapidement une structure attendue aux effets prévisibles. Dans la même logique, les travellings sur les paysages s’étirent en longueur, nous donnant plus l’impression de répondre à une opportunité de montage de pure forme, ne parvenant pas à nous donner le sentiment de « l’ailleurs ». La durée excessive de certains plans nous fait rapidement glisser dans un état de passivité, dans un temps du film douloureusement interminable calquant d’un peu trop près le temps réel du voyage. Les ponctuations visuelles et sonores, dans leur souci de rimer, remettent à chaque fois le film sur des « rails », l’empêchant de décoller de sa vitesse de croisière. Heureusement, il y a dans le film des paroles qui marquent. Celles de ces personnages assaillis de doutes, d’incertitudes. A l’exception de cette dame étrangement lunaire, sereine dans sa ferveur mystique.
Ce que nous donne à voir et à entendre le réalisateur lorsqu’il se tient au plus près de ces hommes et femmes en huit clos nomade nous transporte enfin en terre étrangère. Si l’on excepte ces instants trop rares, on peut regretter que la mise en récit de L’effet transsibérien comporte certains effets secondaires indésirables.
Jean-Jacques N’diaye
- Jean-Paul Colleyn, le regard documentaire, Ed. Supplémentaires Georges Pompidou.