Se délivrer de la dépendance à la dope est un processus qui s’inscrit nécessairement dans la durée : on ne décroche pas du jour au lendemain. Retracer en vingt-cinq minutes ce long cheminement vers une « normalité » qui est loin d’être programmée est le pari que réussit Didier Nion avec Clean time.
Le temps de la dope se conjugue exclusivement au présent. C’est celui du flash. Celui du « clean time » se décline chronologiquement. En jours, en mois, puis en années. C’est sur ce nouveau départ, rupture radicale avec un ancien mode de vie, que s’ouvre le film. Là où il est trop tôt pour se projeter dans un avenir encore incertain, avec un passé si présent qu’il en fragilise l’avenir. Une absence de perspectives qui se traduit formellement par une absence de profondeur de champ dans l’image. La caméra traque le visage, cherchant à le serrer de plus en plus près, comme si elle cherchait à exclure un corps marqué dans sa chair par son histoire récente. Des gros plans qui sont l’interprétation visuelle de la vulnérabilité d’un personnage retiré depuis trop peu de temps d’une réalité dominée par l’égocentrisme. Il n’existe pas « d’ailleurs », simplement un « ici et maintenant » rendu instable par la possibilité toujours présente de la rechute.
Mais le « clean time », c’est aussi le temps de la communication retrouvée. Dans un flux ponctué de silence, la parole irrigue l’image telle la drogue circulant hier dans les veines. Acte d’échange qui a déjà valeur de petite victoire. Cette parole investit le film jusqu’à en devenir le personnage principal, créant des lignes de tension pleines d’espoir, de doutes, d’interrogations ou de certitudes.
Clean time est l’histoire d’une errance qui ouvre progressivement les contours d’une nouvelle réalité. Peu à peu, l’espace s’élargit : de l’univers clos de la ville et de l’appartement, il s’étend dans les dernières séquences sur un paysage aéré de campagne. « Clean time : deux ans ». L’errance a changé de sens. D’une dérive sans espoir de retour, à l’issue douloureusement connue, elle est devenue le champ de tous les possibles.
Francis Laborie