On a marché sur l’atome

« L’humanité est entrée dans une ère nouvelle de son histoire. Plus que jamais la civilisation apparaît conditionnée par la Science. Des forces dont personne, il y a un quart de siècle, n’eût osé imaginer la puissance, ont été mises à la disposition des hommes ; mais deux chemins s’ouvrent devant nous : celui d’une rivalité entraînant une course aux armements toujours plus dangereuse, qui menace de déchaîner contre l’humanité les découvertes issues du génie de ses savants, et celui qui doit permettre, quelles que soient les divergences de conception sociales, politiques ou spirituelles, de s’engager dans la voie de la compréhension, seule capable de conduire à une paix véritable. »

Le film de la photographe Marie-Françoise Plissart s’ouvre sur une courte archive sonore extraite de ce discours d’inauguration prononcé par le jeune roi Baudoin Ier. L’Atomium est la pièce maîtresse de l’exposition universelle de 1958, la première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la première depuis celle organisée à New York en 1939, au moment même où les troupes allemandes envahissaient la Pologne. Quelques années après Hiroshima, les sphères d’une molécule cristalline de métal agrandie cent soixante-cinq milliards de fois accueillent à Bruxelles une présentation des applications pacifiques de l’énergie nucléaire…

Ce contexte n’est pas rappelé par Marie-Françoise Plissart qui choisit un tout autre point de vue. À l’occasion de la rénovation de l’Atomium qu’elle a suivie pendant plus d’un an, elle pousse à la limite la logique du dorénavant monument : il n’est pas une représentation scientifiquement fidèle – à l’époque, le plus petit morceau de matière défie les microscopes – mais un mélange mystérieux et indétricotable de savoirs parcellaires, de contraintes architecturales et techniques, de lignes esthétiques, de récits saisissants de science-fiction, d’idéologie progressiste… Moins la vérité qu’un songe, moins le réel qu’un voyage. La cinéaste déréalise la molécule, la fragmente par son cadrage, brouille les repères d’échelle, compose une partition pour clarinette et tournevis…

Escalader la molécule devient une nouvelle odyssée. Un homme marche sur l’atome ; il voltige autour de liens invisibles d’énergie ; d’un coup de pied, il parvient à déchirer la matière insécable. Un puits de lumière fend la carapace du corps ; une soudure guérit les blessures métalliques ; la grue se mue en accélérateur de particules. Environnement lunaire, brouillard martien, poussière d’étoiles… Entre macrocosmos et microcosmos, Atomium in/out sonde les galaxies célestes, les recoins les plus obscurs du cerveau…

Sébastien Galceran