Les murs ont des oreilles…

« Je voudrais que tu montres mes dessins et que tu racontes mon histoire partout, partout à travers le monde », mais « tu ne peux pas me filmer, tu ne peux pas m’enregistrer ». Cette contrainte impose à la réalisatrice une mise en forme originale qui s’articule autour de l’alternance entre les images des peintures murales de l’artiste dans leur « élément », les rues de Dakar, et des plans rapprochés, tournés en super 8. S’intercalent dans le montage des images de paysages, urbains pour la plupart, dans lesquels apparaissent quelques figures humaines sans qu’aucune ne se détache particulièrement. Car ce qui compte, c’est l’œuvre de Maïsama et les histoires étranges qu’elle raconte sur les murs de sa ville.

L’impossibilité de mettre en scène l’artiste amène Isabelle Thomas à faire le choix d’une voix off qui accompagne la découverte de chacun des tableaux en en livrant l’histoire, la substance et en explicitant la dimension pédagogique voulue par le peintre. Les fresques nous sont présentées dans ce qu’elles ont de plus pictural. Le grain des murs sur lesquels elles ont été exécutées, comme les pigments utilisés par l’artiste semblent palpables, notamment dans les séquences en Super 8. Les mouvements de caméra induisent un découpage, une organisation du regard qui accompagnent les propos de Maïsama. La succession de plans très serrés et de plans plus larges crée une dynamique qui affirme le caractère quasi légendaire de ces fresques. En écho à ce que l’artiste considère comme des histoires de vie de Dakar et ses habitants, les images nous donnent à voir des paysages dans lesquels les humains ne sont réduits qu’à des mouvements. Aucun visage ne se détache, les actions restent limitées à des déplacements : mouvements de véhicules ou de personnes, filmés de loin. Les hommes émergent à peine de la poussière de la ville. Et, quelquefois, la caméra s’attarde sur les conséquences de leurs actes : les déchets s’entassent jusqu’au pied des œuvres de Maïsama, justifiant ainsi ses complaintes quant au manque d’hygiène de ses contemporains… Ces derniers n’ont pas compris son message messianique et déambulent sans but, de la vie à la mort, sans avoir donné de sens à leur existence.

Au tout début du film, l’écran filmé sur lequel défilent des images en Super 8, montrant des détails des peintures murales, donne presque l’impression d’images d’archives. Cela renverrait-il à l’art pariétal des fresques sur les murs des cavernes de nos lointains ancêtres ? La question se pose d’autant que le film s’ouvre et se ferme sur une image de mer, l’océan d’où la vie émerge, la mère… Et Maïsama de se prendre pour le Créateur ou de revenir sur sa propre origine, pour le moins étrange… Ses peintures figent, sur tous les morceaux de murs qui sont à sa portée, ses propres légendes qu’il voit comme des « histoires d’ici ». Têtes de mort, squelettes, entrailles, scènes de défécation, verge surdimensionnées, seringues, larmes et, au sein de ce chaos  seulement quelques scènes de la vie quotidienne. Obsédé par la propreté, la maladie, la vie et la mort, l’homme semble se débattre dans une réalité sur laquelle il n’a prise qu’à travers l’expression de son univers torturé, de sa vision de la vie sur les murs de sa ville, comme un exorcisme. La musique bruitiste qui accompagne le film tout du long (presque trop présente et pesante parfois), concourt à dramatiser l’univers de l’artiste. Certaines séquences frisant l’expérimental, intensifient encore la complexité et l’étrangeté de son univers. L’ensemble, dans le fond comme dans la forme, se révèle envoûtant. En collant de si près au point de vue et aux visions de Maïsama, on se dit que l’homme est définitivement un témoin de son temps. Eclairé ou illuminé.

Laurence Pinsard