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Un bruit d’avion perturbe l’équilibre des images en couvrant en partie la musique instrumentale qui les accompagne. Puis l’avion passe et la musique continue comme si de rien n’était. À l’instar du B-29 qui, après avoir déclenché l’alarme aérienne lors d’un premier passage, disparut du ciel en laissant Hiroshima apaisée. Apaisement de courte durée : quarante-cinq minutes plus tard, la bombe était lâchée. Il faudra moins de temps au spectateur pour être confronté à cette explosion par un écran blanc et le son de la déflagration.

Comment évoquer l’indescriptible de Hiroshima après Resnais, Nobuhiro ? Jean-Gabriel Périot choisit de le faire au travers d’archives photographiques s’étalant de 1916 à 2006. Point d’impact de ces images : A-Bombe Dome, seule construction encore debout après le largage de la bombe du 6 août 1945. Auparavant palais d’exposition industrielle, ce bâtiment est devenu aujourd’hui un mémorial classé par l’Unesco. C’est ce travail autour de la mémoire qui intéresse le réalisateur : « (…) Quand j’ai lu les témoignages, regardé les interviews sur Hiroshima, c’est un peu comme si ces gens me demandaient de transmettre ce que moi j’avais pu comprendre de leur histoire. Il me semble que les survivants – et d’une certaine manière les morts aussi – me demandaient de les écouter, de transmettre leur parole. Ces hommes attendent de nous que l’on perpétue leur mémoire … »1.

À travers une succession de photographies de ce bâtiment, prises à différentes époques, le réalisateur ranime le souvenir des différents regards qui se sont posés sur cette construction avant et après Hiroshima. Les clichés successifs apparaissent au centre de l’écran comme autant de regards de photographes, comme autant de regards posés avant que… Qui sont-ils ? Simples passants, photographes, touristes ? On se surprend à se questionner quant à leur devenir…

Le format court et le montage véloce dynamisent la souvenance, la rythment, permettent surtout au spectateur de se focaliser sur la symbolique du bâtiment. Bien d’autres images de la ville sinistrée auraient pu venir alimenter ce film, nous n’aurions conservé alors que les corps blessés, les vies anéanties… Sélective, la mémoire n’aurait retenu que la misère physique. Toute la dimension commémorative aurait été évincée dans sa généralité au profit de l’apitoiement. Or ce film est tout sauf un catalyseur de pitié.

Défilement et superposition d’images du A-Bombe Dome en ruine. Le spectateur est saisi par la voix qui s’élève. C’est celle de Tibet, chanteur du groupe Current 93 dont la musique « apocalyptique folk » donne un sens presque religieux aux images. Dans le chant récitatif, presque monocorde, il est question de Lazare 2. Tibet semble annoncer la résurrection de ces regards photographiques, de « ces fantômes »…

Puis défilent le quartier reconstruit, Hirohito saluant le peuple de Hiroshima, des gens se faisant photographier avec le mémorial en toile de fond… Nous sommes passés du noir et blanc à la couleur. La voix de Tibet achève sa litanie musicale.

Les photos au centre desquelles trône encore le bâtiment font apparaître des lanternes. C’est le rite funéraire d’Obon. Durant sept jours, les esprits des morts reviennent sur terre. À la fin de la semaine, les familles déposent des lanternes sur un fleuve, une rivière… Leur lumière guide les esprits dépossédés de sépulture vers leur tombeau familial pour qu’ils y trouvent enfin le repos.

Le retour d’une photo de famille en noir et blanc renvoie une dernière fois aux regards des disparus. Le passé superposé sur le présent crée le lien entre les vivants et les morts. Le contact est établi. Leurs regards se répandront au-delà de Hiroshima.

Sandrine Domenech

  1. Entretien sur le site : objectif-cinema.com
  2. Dans l’Évangile de Jean, Lazare fut ressuscité par le Christ.