En Suisse romande, la part de rituel dont s’entoure la mort des hommes reçoit une forme particulière, qu’est allé filmer Fernand Melgar. L’euthanasie y est non seulement légale, mais pratiquée par des associations indépendantes des institutions publiques et médicales, sous le nom d’« assistance au suicide ». Le film emprunte ainsi son titre au nom de l’une de ces étranges associations vouées à organiser l’éventuelle disparition de leurs propres membres. Il tâche d’en retracer l’activité la plus quotidienne en prenant soin de ne pas donner dans le voyeurisme auquel un tel sujet pourrait si facilement prêter. Au lieu de focaliser l’attention sur l’instant décisif où les « accompagnateurs » de l’association assistent les malades dans leur suicide effectif, en leur délivrant la « potion » appropriée, Melgar s’efforce de montrer la série des paroles, des gestes, des efforts qui le préparent et, en amont, tentent de lui donner un sens humain.
L’objet principal du film tient dans cet entre-deux. Certes, il s’ouvre par la visite que rend le président de l’association, lui-même accompagnateur, à une vieille femme pour s’assurer une dernière fois de la décision qu’elle a prise de mettre fin à ses jours et se clôt sur le moment où elle ingérera la « potion ». Mais il conduit surtout l’exploration en spirale de tout ce qui sépare le premier de ces moments du second, de tout cet arrière-plan humain, affectif, social et… rituel qui soutient l’aspect le plus visible et le plus spectaculaire de l’activité de l’association dans la lenteur mitigée du quotidien. Le film multiplie alors les points de vue sur celle-ci, faisant passer pêle-mêle du bureau d’une standardiste recevant les appels les plus hétéroclites à l’insolite buffet d’une assemblée générale ou à l’apologie militante de la good death lors d’un symposium international au Japon.
Mais les séquences les plus frappantes retracent la succession des visites que rendent trois accompagnateurs à leurs malades respectifs, chez eux, et à la discussion qui s’ensuit, mêlant souvent un fils, un conjoint, une mère. Le cadre prend soin d’inclure alors les profils des uns et des autres, s’attachant à faire sentir la trame complexe des relations qui se tissent entre eux. En montrant les visages de biais plutôt que de front, en préférant les plans rapprochés aux plans larges, il donne aussi au spectateur le point de vue de quelqu’un qui serait assis là, tacitement pris à partie. Melgar fait ainsi découvrir l’étonnante puissance avec laquelle cette forme particulière d’organisation de la mort peut ouvrir la voie au partage et à la discussion.
La gratitude et le contentement si fantastiques avec lesquels les « suicidés » reçoivent les services d’Exit commencent à faire sens. La nécessité de décider de mourir ou non, puis de convenir d’une date et d’une heure, semble suffire à réunir vivants et mourants au sein d’une même expérience et permettre d’abolir un instant, juste un peu, l’abîme qui les sépare déjà.
Les hommes semblent alors réclamer pour mourir, en même temps qu’une potion, l’assentiment des leurs. Voilà pourquoi, sans doute, le film a installé son spectateur dans une proximité quasi familiale à l’égard de ses personnages. Moins pour tirer bénéfice, sur le plan dramatique, d’une intimité déjà saturée que pour lui faire percevoir quelques-uns de ces étranges chemins par lesquels l’expérience de la mort peut aussi dessiner des espaces de parole.
Pierre Thévenin