C’est un documentaire scientifique, mais contre toute attente c’est aussi une formidable invitation au voyage : un voyage coloré et instructif, naviguant sans cesse aux frontières de la folie douce.
D’entrée de jeu, le sujet est envisagé sous l’angle qui nous touche le plus. C’est autant du vieillissement qu’il s’agit que de notre peur de vieillir, autant de la désintégration universelle de toute chose que de notre désir d’immortalité. Jamais le film ne « lâche » les grandes questions induites par les expériences ou explications scientifiques. Cette proximité du spectateur au sujet permet d’accepter le traitement extrêmement rigoureux réservé aux analyses techniques : celles-ci sont limitées en nombre (expérimentation sur des vers mutants, plongée dans les chaînes d’ADN), mais pour autant elles sont vraiment développées.
Surtout, comme dans leur précédent film, Une mort programmée, Jean-François Brunet et Peter Friedman alternent interviews et discours scientifiques avec des ponctuations-illustrations qui, outre leur fonction pédagogique, redonnent au spectateur un espace libre dans lequel l’imagination peut réinterpréter à sa guise le discours prononcé. La rigueur formelle du cadre scientifique se trouve alors remise en question, développée, détournée dans une forme a priori contradictoire. Cartoon, film d’actualité, morphing photographique, tous les matériaux possibles fêtent l’avancée du savoir.
Plus qu’une pédagogie, cette forme joyeuse et surprenante exprime avec une totale cohérence la vision du vieillissement que proposent les auteurs. Vision explicitée par le dernier intervenant : le vieillissement n’existe pas, nous sommes des objets en cours d’individuation, intégrés dans un temps qui n’est pas dégradation mais déformation. C’est cette idée que la vie procède par déformations (par accrocs, par surprises) qui, contaminant tout le film, lui donne sa forme et son rythme en incessantes ruptures (de matériau, de tonalité…).
Ces ruptures sont en outre le reflet de la double signature du film. Deux auteurs, deux personnalités (l’un cinéaste, l’autre scientifique) et en même temps une connivence absolue et dynamique, comme le lien science-vie, ratio-folie, la folie n’étant pas toujours du côté des séquences purement visuelles : au contraire, celles-ci désamorcent parfois par leur côté gai et rassurant l’inconnu d’un discours qui s’enflamme (la fascination pour la recherche, le mystère de la vie, le nouvel âge de la biologie dont tous les intervenants parlent). L’enthousiasme scientifique est ce qui reste de plus fort du film. Jamais « l’entertainment » de certaines séquences ou ponctuations n’est utilisé pour justifier l’austérité du contexte. On a plus l’impression que c’est justement le contexte – la démarche scientifique – qui autorise une telle débauche, une telle fascination. La science comme champ possible de nouvelles images, de nouvelles histoires et de nouveaux rêves. À l’image d’un des derniers plans du film : un saut dans le vide. Beau vertige.
Gaël Lépingle