Eric et Vincent sont deux anciens « casques bleus » redevenus aujourd’hui simples civils. Le récit de leurs expériences en Bosnie est éloquent sur la mission qui va leur être confiée : ce n’est pas voyage au bout de l’enfer mais voyage au bout de l’absurde.
Cette absurdité va peu à peu les briser. Stress de la guerre, peur, dégoût et révolte devant des situations où l’irrationnel se mêle à la cruauté, autant de raisons qui vont contribuer à les user nerveusement et psychiquement. Renvoyés sans aucun suivi médical à la vie civile, ce retour ne peut être, dans ces conditions, qu’un nouveau traumatisme. En bute à une nouvelle incompréhension, celle de « ceux qui sont restés », la haine et la tension accumulées vont faire d’eux de véritables bombes à retardement prêtes à exploser à la moindre occasion. Entre le discours de l’officier prisonnier d’une langue de bois qui donne l’image d’une armée enfermée dans ses certitudes et les mots fragiles des deux appelés, traduction sincère de leurs doutes et de leurs détresses, le contraste est saisissant.
C’est à une mise à nu que se livrent ces « héros désarmés ». A la critique du rôle (ou plutôt du non-rôle) qu’on leur a fait jouer, se mêle une introspection beaucoup plus personnelle. Ce qui donne au film un aspect parfois un peu décousu, oscillant entre registre public (regard sur l’événement) et registre privé (regard sur soi).
La relative faiblesse du documentaire se trouve pourtant ailleurs, dans la différence de qualité entre ce qui est dit et ce qui est montré. Car si Éric et Vincent se racontent longuement à l’écran, un troisième « casque bleu » participe également au film : celui qui a tourné les images en provenance de Bosnie. Or ces images n’ont pas la justesse de ton qui rend les interviews si émouvantes et si éclairantes. Là où la parole prend des risques en se voulant exploratrice, de soi et de l’institution militaire, la caméra reste à la surface des choses. On y perçoit la routine de ces jours passés à côté de la guerre sans qu’émerge le malaise raconté par Éric et Vincent (malaise que l’on retrouve également dans la lettre d’un appelé qui est lue en voix off). La pertinence des propos est absente d’une image qui, au moment même où elle est tournée, appartient déjà au passé. Parce que sa fonction est d’abord d’être une image souvenir. Ce qui est montré, c’est finalement plus le corps d’armée, où la parole est absente, que des corps dans l’armée. Paradoxalement, ces images collent peut-être plus avec le discours militaire, où états d’armes ne riment pas avec états d’âme, qu’avec les propos tenus par les appelés.
C’est tout le problème de comment filmer une réalité de l’intérieur qui se trouve ainsi posé.
Francis Laborie