Le fil du commentaire

Hier – Salle 5. La projection du Journal (1981-1983) de Daniel Perlov vient de s’achever. Quelques phrases de Perlov me trottent dans la tête : « On ne veut pas un cinéma d’illusions, on veut un cinéma de faits. […] Le cinéma de fiction est l’opium du peuple… »

La femme de Perlov et l’une de ses filles entrent et s’installent devant nous. Dans la salle, on s’agite… J’aime cette fébrilité du public avant un débat : mêlées de timidité, murmures qui circulent, mains qui se lèvent comme on se jette à l’eau.

Le débat prend forme. Une jeune femme, galvanisée par cette liberté qui fait foi tout au long du journal de Perlov, s’enhardit à demander à sa fille si elle ne veut pas reprendre le flambeau. Continuer ces images, ces images libres. On sourit. La jeune femme rassure son auditoire : « Ce n’est pas obligé, quelqu’un d’autre peut le faire… »

Le mordant de Watkins ou de Chris Marker, je souris. Pas d’inquiétude. Le flambeau est déjà repris… Perlov lui- même l’avait déjà reçu de Vigo…

Il n’est pas d’évènements qui ne puis- sent devenir un creuset d’images libres. Même ceux que l’on pense délibérément enfouis sous une chape dictatoriale. La Chine agite la censure comme une épée de Damoclès ? Qu’importe, ce sont d’autres pays qui produiront Wang Bing et À l’Ouest des rails sera vu sous le manteau.

Perlov aussi connaîtra des difficultés de production. Pour son journal, une chaîne anglaise lui propose en 1982 de le coproduire. La post-synchro est donc élaborée en anglais. Pour sa diffusion en Israël, le cinéaste attendra cinq ans avant d’obtenir l’argent nécessaire pour réaliser le sous-titrage en hébreu.

« On ne veut pas un cinéma d’illusions », un cinéma entretenant l’illusion que certains films ne sont pas accessibles à tout le monde… Parce que l’autre difficulté est là : dans la diffusion des images. « La poésie est à la portée de tous », disait Ponge. Le cinéma aussi.

Je repense à Tsai Ming Liang qui descend dans la rue avec ses acteurs pour participer à la pré-vente des tickets de son dernier film, à son habitude de parcourir les universités de Taiwan pour aller à la rencontre des gens qui ne vont pas au cinéma. Ce cinéma que l’on dit « d’art et d’essai »…

Sandrine Domenech