Le fil du commentaire

Lussas. « Nous y voilà rendus ! » Cette année encore nous avons hésité jusqu’à la dernière minute, prétextant d’éventuelles destinations lointaines qui nous accapareraient pendant la même période. Plantés au cœur de l’Ardèche, nous avons choisi avec précaution un emplacement béni au camping de la Vierge, pour au réveil, trébucher sur les tendeurs voisins. Le HLM de la Vierge toujours plus prisé. Et l’on s’inquiète de la météo. Est-ce une année à orages ? La salle 3 a disparu ? Tombé du ciel, un chapiteau de cirque aux chatoyantes couleurs irradie jus- qu’aux collines alentour. Tout est en place, il ne manque que les images.

Lors du plein air inaugural, il nous faut patienter, le temps du discours du maire : « Nous pouvons dire toute notre fierté d’avoir ici des initiateurs de réflexion sur la vie du monde, une mise en œuvre de la pensée qui nous permet de rester des hommes debout face à cette société de l’avoir et des apparences . »

Puis c’est le défilé des bénévoles sur le podium. Ce monde dépend pour beaucoup des bonnes volontés. Le réalisateur transpire pauvrement quelques années sur le sujet qu’il veut mettre en lumière ; son film accompli se cherche un lieu de diffusion ; le spectateur n’aspire pas au repos. Et parlons un peu des programmateurs qui luttent contre des ersatz commerciaux : à 1056 kilomètres d’ici, certains investissent dans les festivals des enjeux qui ne devraient pas y être et exigent l’exclusivité d’un film.

Les hommes s’effacent, place au cinéma. Premières œuvres, deux films du master, bercés en Ardèche pendant un an. Syhem et Nu, deux regards très rapprochés sur des douleurs à surmonter : ecchymoses laissées par un désaveu familial et l’attente éprouvante d’une greffe qui n’aura pas lieu.

Puis l’inaugural long, Young Yakuza, incursion dans le crime organisé au goût de fiction et de procédés. Par une suite de questions qui se veulent anodines, le jeune yakuza lance comme par miracle la thématique des séquences… Le milieu refuse de se révéler, juste quelques impressions d’un Japon ancestral se heurtant à la modernité. Le parrain participe à sa mise en scène : « Avant, quand quelqu’un trahissait le clan, on lui coupait l’auriculaire. Impossible pour lui de trouver du travail. Aujourd’hui non, cela ne se fait plus, on parle. » Et dans un plan suivant, apparaît un auriculaire bandé…

Retrouvailles autour des zakouskis, produits du terroir, communion avant le marathon de films. Peut-on encore avoir soif d’images, saturés par une année d’élections, las de discours et d’images phagocytées par des armadas de « communicants » ? Il me vient l’envie d’un cinéma patient, où les réalisateurs attentifs au monde l’écoutent plus qu’ils ne le démontrent, tout en élaborant leur langage cinématographique.

Ce matin, je décide d’aborder le sujet de front et me rends à « Coupez ! », salle 1.

Anita Jans