Trois films, trois façons de déjouer les pièges de la bande originale.
Naufragés des Andes
La contrainte : Dans ce documentaire qui donne à entendre les témoignages bouleversants des rescapés d’un crash survenu entre l’Uruguay et le Chili en 1972, Florencia Di Concilio est intervenue très tôt dans l’écriture : « J’avais pu voir des rushes déjà, et je savais qu’il y avait très peu de sons directs, tout le paysage sonore était à construire, jusqu’au bruit du moteur de l’avion. Gonzalo m’a fait confiance. Rares sont les réalisateurs qui accordent un tel espace de création sur l’ensemble du film. »
Le piège : Le risque mélodramatique des séquences dans lesquelles les survivants de cette catastrophe aérienne évoquent l’anthropophagie.
Son approche : « L’idée était que la musique devait exprimer le point de vue des protagonistes, donner à entendre ce qui se passait dans leur tête et surtout respecter la pudeur avec laquelle ils confient leur récit de ce drame à la caméra. »
Le résultat à l’écoute : Une bande son d’une extrême sobriété. Des sons grinçants, souvent aigus, qui parviennent à restituer la rugosité de l’environnement, le froid, la neige.
Les Années Super 8
La contrainte : Une voix off omniprésente. « Annie Ernaux a une voix juvénile, qui contraste avec la dureté de ce qu’elle dit. J’ai joué avec ce timbre, il m’a guidée. Je ne voulais pas que la musique soit un accompagnement, mais obtenir un tissage très doux avec le timbre singulier de cette voix, d’où la légèreté de la musique. »
Le piège : La playlist de la prof de lettres de gauche des années 1970 featuring Violeta Parra, Quilapayún, Vladimir Vyssotski et Joan Baez.
Son approche : « Pour la fable familiale que nous racontent ces images, j’ai voulu des mandolines, des chansons, un peu comme du faux Joe Dassin, de la fausse musique soviétique aussi. Bref, une bande son un peu désuète qui pourrait presque se confondre avec une musique synchro de l’époque. »
Le résultat à l’écoute : Florencia Di Concilio compose une partition qui crée un étonnant parallèle avec le travail sur l’archive super 8. « Annie Ernaux raconte un autre temps, avec son lot de faux-semblants et d’illusions d’optique. De la même façon, au son, je raconte un autre temps qui joue avec le vintage, mais qui en est une reconstruction au présent. »
Ava
La contrainte : Celle d’un film à petit budget et aussi celle de tubes souhaités par la réalisatrice : Sabali d’Amadou et Mariam et la Passacaglia della vita, tube de la Renaissance italienne.
Le piège : Des scènes de fiction chargées d’une forte intensité dramatique et situées dans un environnement déjà porteur de références sonores identifiées, voire galvaudées : la station balnéaire l’été d’une part, la communauté gitane du Médoc d’autre part.
Son approche : « 99% de la BO d’Ava c’est moi en train de massacrer un violoncelle. Après j’ai fait du montage à partir de ces notes complètement cassées, ce que je sais mieux faire que de jouer du violoncelle. »
Le résultat à l’écoute : Une BO résolument anti-naturaliste, qui renouvelle la lecture des topoï du teen movie français (la fuite en moto à la Bonnie & Clyde, l’éveil à la sexualité de l’héroïne, le mariage gitan, la fête foraine).
Propos recueillis par Céline Leclère.
Florencia Di Concilio
Née en Uruguay dans une famille de musicien·es, Florencia Di Concilio a suivi une formation de pianiste classique avant de se consacrer à la composition. Arrivée en France en 2004, elle a rapidement commencé à travailler pour le cinéma et la télévision. Nourrie autant de jazz que de culture classique, elle définit son travail comme une orchestration de la vie quotidienne, à la croisée du design sonore et de la composition. Pour sa Journée Carte blanche, la Sacem l’invite à revenir sur son parcours et à partager son regard sur les enjeux de l’écriture musicale pour le cinéma au travers de trois films emblématiques de sa manière : Naufragés des Andes de Gonzalo Arijón (2007), Ava de Léa Mysius (2016) et Les Années Super 8 d’Annie Ernaux et David Ernaux-Briot (2022).