Intérieurs/Extérieurs

En marge de la rencontre sur les lieux de diffusion, nous avons rencontré Anne Toussaint pour évoquer avec elle son travail de programmation à la maison d’arrêt de Metz et à la prison de la Santé à Paris.

Il existe un atelier vidéo dans la maison d’arrêt de Metz où je suis intervenue sur le cadre et le montage d’un film (Tatoo Zappé). C’était la première fois que je rentrais dans une prison. À ce moment-là, cette problématique ne faisait pas partie de ma vie. J’étais assez fascinée par le travail fait là-bas, qui reposait sur un atelier d’art plastique et un atelier d’écriture. Le film était un peu une critique de la télévision, qui prend une place de plus en plus importante en prison. Elle est une sorte de soporifique pour les personnes détenues, une façon de tuer le temps. La rencontre avec les personnes détenues et leur questionnement sur les images m’a beaucoup intéressée. On m’avait parlé de la création d’un centre de ressource audiovisuel. L’idée était de créer une télévision à l’intérieur de la prison, de former des personnes détenues et de proposer un travail de post-production pour l’extérieur. Quand je suis arrivée les objectifs et les matériels du projet étaient déjà déterminés. Un groupe s’est constitué pour faire une initiation à la vidéo. Il m’est apparu évident de travailler sur l’échange entre l’extérieur de l’univers carcéral et son intérieur. Il fallait éviter de faire de la vidéo en circuit fermé, qui parlerait uniquement de la prison. J’ai donc organisé une correspondance vidéo entre des étudiants en cinéma et un groupe de personnes détenues. Malgré la volonté commune de questionner l’enfermement, il s’est installé un grand décalage dans la représentation de la prison et ce sont plutôt les étudiants qui ont arrêté le projet. La deuxième expérience a été de réaliser une fiction à l’intérieur de la prison avec l’idée d’en détourner le lieu. Pour moi, l’atelier vidéo ne doit pas institutionnaliser la prison mais être un outil de résistance par rapport à l’état d’enfermement. Je voulais appréhender le lieu sous différents angles en jouant sur le point de vue ou sur le son. Il me semble important de travailler sur la mémoire des mots, des images, des sons que l’on ne dit plus, que l’on ne voit plus, que l’on n’entend plus. En partenariat avec l’Afpa (Association de Formation Pour Adulte), on a donc monté une fiction dans le cadre d’un stage de formation pré-qualifiante. Un scénario a été écrit. C’était intéressant car il y a eu créations de décors à l’intérieur de la prison. On y a, par exemple, simulé un bateau. La prison devenait alors autre chose qu’une institution, qu’un lieu physique puisque l’on travaillait sur un imaginaire, sur des visions et des dialogues qui ne faisaient pas référence à l’univers carcéral.

La diffusion existe pour moi dès le départ. Il y a cet « objet télévision », omniprésent dans la prison, et le but de l’atelier vidéo est d’amener les personnes détenues à mener une réflexion sur des images, à leur faire découvrir d’autres écritures que celle, dominante, de la télévision. C’est pour cette raison que je me suis tout de suite orientée vers la présentation d’art vidéo ou que j’ai invité des auteurs et des réalisateurs qui sont dans les marges de la production dominante. Dans les champs de la réalisation et de la diffusion, mon objectif est de travailler sur quelque chose de plus poétique, de plus abstrait et, par ce biais, d’ouvrir les prisonniers à une autre façon de voir les images. Les amener aussi à développer leur créativité, ce qui est difficile en prison car l’univers visuel et sonore est toujours le même. Je voulais que l’image devienne un matériau d’expression, que l’on puisse la détourner, jouer avec le signal vidéo, etc. La diffusion peut alimenter leur propre production. Pour chaque diffusion on fait une annonce par le canal interne. Les personnes détenues qui veulent y assister doivent s’inscrire. Un public extérieur est invité. En raison des difficultés à entrer en prison, ce sont généralement des étudiants en communication, en cinéma ou des Beaux Arts des universités de Metz. Il y a toujours une rencontre avec le réalisateur et un échange collectif. Je choisis toujours les films. Les personnes détenues de l’atelier vidéo les visionnent, préparent la diffusion et animent la rencontre avec le réalisateur. Celle-ci n’est pas systématiquement filmée car la présence de la caméra peut empêcher l’expression libre de la parole. Mais après la rencontre il y a toujours une interview menée par l’un des membres de l’atelier. Ce matériau est monté et accompagne la diffusion du film sur le canal interne.

J’anime un atelier de programmation à la maison d’arrêt de la Santé à Paris. L’idée est de réfléchir sur des films à diffuser sur le canal interne, en respectant les droits de diffusions et en explorant le « hors télévision ». Nous réfléchissons ensemble sur ce qu’est un véritable travail de programmation, visionner des films, faire des choix et rencontrer des réalisateurs. Depuis janvier on diffuse un programme de cinq films toutes les semaines, présenté par les personnes détenues. Ils expliquent leur choix, donnent des clés de lecture et des informations sur le réalisateur. On essaye de diffuser des films que l’on ne voit pas à la télévision, notamment des films étrangers en V.O. (il y a un grand nombre de personnes détenues issues de cultures différentes), du documentaire et aussi de l’art vidéo. On invite des auteurs à venir débattre de leur travail. Là il n’y a pas de diffusion collective, tout se passe sur le canal interne.

Il faut briser les frontières, faire des ponts entre l’extérieur et l’intérieur. La prison peut bouger si plus de gens extérieurs viennent y passer un moment. Le fait de doubler les diffusions à la maison de la culture est une tentative de redonner une place à la prison dans la cité.

Propos recueillis par Christophe Postic et Éric Vidal